La renaissance de la civilisation
Par David Hofman


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Chapitre 7. L’ÉCONOMIE SOCIALE

Baha’ullah n’a pas lui-même imposé de système économique précis, mais il a établi certains principes de base en laissant à l’humanité le soin d’élaborer la structure d’un tel système.

L’expression «un nouvel ordre mondial», de plus en plus à la mode, peut être trompeuse, car elle risque de laisser croire qu’on peut obtenir quelque chose sans effort, elle peut donner l’impression que certains individus pourront jouir de tous les avantages de la prospérité sans y contribuer eux-mêmes par leur travail et leurs efforts. Baha’u’llah demande à chacun de travailler: ni les riches ni les pauvres ne doivent vivre dans l’oisiveté. «[…] Les hommes les meilleurs sont ceux qui gagnent leur vie dans leur métier et, pour l’amour de Dieu, le Seigneur de tous les mondes, dépensent leur argent pour eux-mêmes et pour leurs semblables [90]

Le laisser-faire économique et la compétition effrénée doivent céder la place à la socialisation et à la coopération, mais la prospérité se fonde d’abord toujours sur l’effort individuel, sur le travail assidu et sur l’autonomie. «Chaque individu [...] est dans l’obligation de s’engager dans une quelconque profession car le travail, surtout quand il est accompli dans un esprit de service est, selon Baha'u'llah, une forme d’adoration. Il n’a pas seulement un but utilitaire mais il est une valeur en soi, car il nous rapproche de Dieu et nous permet de mieux saisir son dessein pour nous ici-bas [91]

Le gaspillage des ressources qu’a connu le vingtième siècle semblera sans doute incroyable aux générations futures. Encore aujourd’hui, dans certaines parties du monde, on laisse pourrir les fruits sur les arbres, on détruit les surplus de production et on brûle le blé. Au même moment, des millions de gens sont sous-alimentés et des enfants meurent de faim par centaines. L’extrême pauvreté et l’extrême richesse s’affrontent dans le monde... dans le même pays! Les gouvernements dépensent des sommes astronomiques et déploient les plus grands efforts pour obtenir la paix entre des peuples ennemis, tandis que l’on fournit des armes aux deux parties! On consacre des moyens très importants à l’amélioration de la santé publique, sans appliquer strictement les mesures adoptées pour protéger la qualité de l’air et de l’eau. Des déserts surgissent là où s’étendaient champs et forêts, et des espèces sont exterminées ou insuffisamment protégées.

Nos descendants seront sans doute très étonnés de constater que notre génération, qui est parvenue à capter un rayon provenant d’une étoile lointaine, Arcturus, pour illuminer l’inauguration d’une foire mondiale, qui a réussi à envoyer des astronautes sur la lune et à accomplir d’autres exploits tout aussi grandioses, est la même qui a toléré que des millions d’êtres humains vivent dans la pauvreté et la misère, tout en consacrant à la guerre une large part des richesses abondantes dont elle disposait.

S’attaquant à la racine du problème, ‘Abdu’l-Baha dit: «Toute la structure économique du monde repose sur des bases divines qui se rapportent au royaume du coeur et de l’esprit.» Parlant devant un groupe de socialistes réunis à Montréal, en 1912, il déclare:

«Bien que le corps politique représente une seule famille, quelques-uns vivent dans l’aisance alors que d’autres sont vraiment dans la misère, par suite d’un manque d’harmonie dans les relations entre ses membres; certains sont rassasiés et d’autres sont affamés, les uns portent les vêtements les plus somptueux alors que d’autres sont privés d’abri et de nourriture. Pourquoi? Parce que l’indispensable sens de la réciprocité et de la symétrie manque à la famille humaine. La maison est mal aménagée. La loi qui la gouverne n’est pas parfaite. Aucune loi faite par des hommes n’assure le bonheur ni ne procure l’aisance. Il faut donc donner à la famille humaine une loi qui assure à tous ses membres l’aisance et le bonheur [92]. »

Réciprocité et symétrie, tels sont les besoins du nouvel ordre social. La coopération doit remplacer la compétition effrénée et un système économique bien organisé doit prendre la place du chaos actuel. À notre époque où la coopération est tout à fait essentielle dans l’organisation des affaires humaines, le véritable problème économique vient du fait que les principes de compétition et de profit qui étaient appliqués dans le passé sont toujours maintenus et valorisés. En réalité, les résultats obtenus prouvent qu’ils sont d’une inefficacité lamentable.

Les tarifs douaniers, la manipulation des devises, le monopole des matières premières, les salaires insuffisants, voilà les principaux ennemis de la prospérité mondiale. Les gouvernements cherchent à vendre à l’extérieur les produits fabriqués chez eux, mais n’ouvrent que parcimonieusement leurs frontières aux produits venant de l’étranger. Chaque nation, ou groupe de nations, essaie de tirer le meilleur profit du système en place, mais les conditions actuelles de l’économie rendent difficile, pour les gouvernements nationaux, de maintenir un équilibre viable entre le commerce local et régional et le marché international. Mais ce ne sont là que différents aspects d’un problème beaucoup plus vaste.

L’indépendance économique d’un État n’est plus possible dans le monde d’aujourd’hui. Au contraire, tous les peuples ont besoin les uns des autres. Par la collaboration et la réciprocité, ils pourront satisfaire leurs besoins mutuels et contribuer à élever le niveau de vie de leurs populations, pourvu évidemment que les fruits du travail soient équitablement partagés et non pas concentrés entre les mains d’une minorité. La base de l’équité doit être universelle, sinon certaines nations continueront de vendre leurs produits à meilleur compte que les autres en utilisant une main-d’oeuvre moins coûteuse, ce qui ne fera que perpétuer l’injustice.

Comme tous les grands problèmes que l’humanité connaît actuellement, la situation économique demeurera insoluble si elle n’est pas réglée à l’échelle mondiale. On ne peut plus permettre à un pays de vivre dans la prospérité alors que d’autres sont dans la misère. Et une nation ne pourra trouver, seule, la solution à ses problèmes de chômage et de pauvreté, car toutes les nations, qu’elles le veuillent ou non, sont maintenant économiquement dépendantes les unes des autres.

Un gouvernement mondial, tel que décrit dans le chapitre précédent, pourra résoudre ces problèmes. Il pourra faire tomber les barrières que les nations du monde élèvent pour protéger leur propre économie. Il sera à même de libérer les énergies actuellement consacrées à la guerre et de les mettre au service des artisans de la paix. Il pourra aussi mettre sur pied les mécanismes nécessaires à des échanges plus rapides et mieux répartis de marchandises et de main-d’oeuvre. Il verra à la mise en place d’une monnaie mondiale, d’une banque mondiale, d’un système unique de poids et mesures, il assurera le libre accès aux matières premières de la planète, protégera les droits de tous les peuples et limitera le pouvoir économique des individus.

‘Abdu’l-Baha explique ainsi l’ordre social de Baha’u’llah: «Le principe le plus important est celui selon lequel les efforts les plus grands qu’accomplira la race humaine profiteront à chaque membre du corps politique. Chacun jouira du maximum de prospérité et de bien-être [...]» Bien que l’ordre social comporte des degrés, l’atteinte d’un niveau de vie minimum pour tous représentera «le plus grand accomplissement de l’humanité.»

«Dieu n’est pas partial. Il ne fait pas de distinction entre les personnes. Il pourvoit aux besoins de tous. La pluie tombe sur chacun et la chaleur du soleil est destinée à réchauffer tous les êtres. […] Par conséquent, l’humanité tout entière devrait jouir d’un maximum de confort, de bien-être et de bonheur [93]

Le capital et le travail :

‘Abdu’l-Baha a expliqué à plusieurs reprises que le travail n’harmoniserait jamais ses rapports avec le capital par des grèves visant à obtenir des salaires plus élevés. Les États, quand ils seront réunis en un gouvernement mondial, pourront intervenir et résoudre ce problème en élaborant « […] avec une sagesse et une fermeté extrêmes, un plan pour empêcher que les capitalistes encourent des pertes trop lourdes et que les ouvriers tombent dans le besoin. Les gouvernements devront légiférer avec la plus grande modération et, ensuite, annoncer publiquement que les droits des classes ouvrières seront efficacement sauvegardés, de même que ceux des capitalistes. Lorsque de telles dispositions seront adoptées de part et d’autre et qu’une grève surviendra, tous les gouvernements du monde devront la combattre. Sinon, le travail conduira à d’importantes destructions, surtout en Europe; des événements désastreux s’ensuivraient. Ce problème, parmi d’autres, fera l’objet d’une guerre universelle en Europe. Les propriétaires de mines et d’usines devraient partager leurs bénéfices avec leurs employés et leur accorder un pourcentage suffisant de telle sorte qu’ils ne reçoivent pas seulement leur salaire, mais participent également aux revenus généraux de l’entreprise et qu’ils s’efforcent de travailler en toute conscience [94]

«Le gouvernement devrait ensuite établir des lois et des règlements afin de contrôler certaines fortunes individuelles excessives et de restreindre la misère de millions d’individus; une certaine modération résulterait de ces mesures. Cependant l’égalité absolue est impossible, car l’égalité absolue de la fortune, des honneurs, du commerce, de l’agriculture et de l’industrie amènerait un manque de progrès, le découragement, une désorganisation des moyens d’existence et une déception générale; l’ordre serait entièrement anéanti dans la communauté. Ainsi, une grande sagesse se manifestera du fait que la loi n’impose pas l’égalité; par conséquent, il est préférable que la modération fasse son oeuvre. L’important est d’empêcher, au moyen de lois et de règlements, l’accumulation de fortunes excessives chez certains individus et de protéger les besoins essentiels de tous... Des lois et des règlements devraient par conséquent être établis, permettant aux ouvriers de recevoir du patron, en plus de leur salaire, un quart ou un cin­quième des profits [95]; ou encore, le corps des ouvriers et des fabricants devrait, d’une manière quelconque, partager équitablement les profits et les avantages. En fait, la direction et l’administration des affaires incombent au propriétaire de l’usine; le travail et la production sont assurés par l’ensemble des ouvriers. En d’autres termes, le salaire des ouvriers devrait leur assurer un niveau de vie adéquat et, lorsqu’ils cesseront de travailler, qu’ils s’affaibliront ou deviendront impotents, une pension suffisante devrait leur être assurée par leur patron. Le salaire devrait être suffisant pour donner satisfaction aux ouvriers et leur permettre d’épargner un peu pour leurs futurs besoins [96]. »

Selon la loi divine, les employés ne devraient pas seulement être rétribués par un salaire. Ils devraient plutôt être associés à toute l’entreprise.

Le capital et le travail pourront régler leurs différends sans violence à partir du moment où l’industrie sera fondée sur une telle base de coopération. «Mais les droits des deux parties associées seront fixés et établis selon les coutumes par des lois justes et impartiales. Au cas où l’une des parties transgresserait ces lois, il faudrait que les cours de justice rendent jugement et, par une sanction efficace, mettent fin à la transgression; ainsi l’ordre serait rétabli et les difficultés éliminées. L’intervention de la cour de justice et du gouvernement dans des différends entre industriels et ouvriers est légale, pour la bonne raison que les affaires courantes entre ouvriers et patrons ne peuvent être assimilées aux affaires courantes d’ordre privé. Celles-ci ne concernent pas le public et, par conséquent, le gouvernement ne devrait pas s’en occuper. En fait, quoique ces différends entre patrons et ouvriers paraissent être des questions personnelles, ils nuisent à la communauté en général; car le commerce, l’industrie, l’agriculture et les affaires générales de la nation sont intimement liés entre eux. Si l’une de ces branches souffre d’un abus, le dommage affecte l’ensemble. Aussi les difficultés entre ouvriers et producteurs causent-elles du tort à toute la collectivité [97]

Afin d’empêcher l’accumulation de grosses fortunes privées, Baha’u’llah recommande la répartition des biens après la mort, dans le cas d’un homme [98], entre sept catégories d’héritiers. Il les classe ainsi: les enfants, l’épouse, le père, la mère, le frère, la soeur, l’éducateur.

‘Abdu’l-Baha explique que cette méthode de léguer ses biens n’est pas obligatoire mais qu’elle constitue une abrogation de la loi de l’héritage.

En résumé, rappelons que les enseignements baha’is n’établissent aucun système particulier d’économie. Un plan général est tracé, mais aucun progrès important dans les conditions sociales ou économiques des peuples ne pourra s’accomplir sans une amélioration préalable de leurs attitudes spirituelles. L’humanité renaîtra et ses affaires prospéreront quand elle prendra conscience de la naissance du jour nouveau et qu’elle reconnaîtra l’arrivée du nouveau printemps spirituel.

Il ne faut plus considérer l’industrie, les métiers et les professions comme le champ d’une lutte farouche. Les individus ne sont pas des êtres isolés qui se disputent le droit de survivre dans la jungle des convoitises humaines. Le travail est synonyme de service et d’adoration, et tous doivent s’y consacrer, les riches comme les pauvres.

Pour que tous puissent profiter des merveilleuses découvertes que fera encore l’humanité, il faudra élaborer un système économique mondial dans lequel la réciprocité et la symétrie remplaceront la compétition acharnée que nous connaissons présentement.

L’interdépendance du capital et du travail devra être pleinement reconnue et les intérêts des deux parties respectés. Une fois cet accord fondamental réalisé, les cours d’arbitrage seront en mesure de régler les conflits.

Il n’est pas souhaitable d’abolir toute différence dans l’échelle des revenus et des richesses, mais les fortunes excessives devront être limitées par des taxes et par une meilleure répartition de l’héritage.

Les finances publiques seront alimentées [99] par un système d’impôt proportionnel dans lequel les plus riches contribueront le plus. Un niveau de vie raisonnable sera assuré à tous et la misère et la pauvreté disparaîtront.

Voilà quelques-unes des caractéristiques de l’économie du nouvel ordre mondial. Mais, rappelons-le encore une fois, le succès d’une telle entreprise dépendra des qualités spirituelles dont fera preuve chaque personne sur la planète. La justice, l’amour et l’esprit de dévouement seront les fondements de la paix et de la prospérité réelles.

Baha’u’llah, comme tous les autres prophètes, exhorte l’homme à se détacher des richesses et à tourner ses pensées vers un objectif plus élevé mais, comme l’explique ‘Abdu’l-Baha: «Cela n’implique pas que l’on doive renoncer à lutter pour gagner sa vie [...] Baha’u’llah affirme même que tout travail et tout effort sont des actes de dévotion [...] Tous les hommes doivent gagner leur vie à la sueur de leur front, chacun cherchant en même temps à alléger le fardeau des autres, s’efforçant d’être une source de réconfort pour les âmes et de faciliter les moyens d’existence. Ce faisant, ils manifesteront déjà leur dévotion envers Dieu. De cette manière, Baha’u’llah encourage et stimule l’action et le dévouement. Mais ces objectifs ne doivent pas enchaîner les forces du coeur ni accaparer l’âme complètement. Bien que l’esprit soit actif, le royaume de Dieu doit attirer aussi le coeur, afin que l’homme aspire de tous les côtés aux vertus humanistes [100]

Baha’u’llah ne désapprouve pas la richesse ni le fait de posséder des biens, à condition qu’ils soient bien utilisés. Dans la Tablette de Tarazat, il écrit: «[...] l’homme devrait connaître son propre moi et reconnaître ce qui mène à la grandeur ou à la bassesse, à la gloire ou à l’humiliation, à la richesse ou à la pauvreté. Dès qu’il a atteint son niveau de réalisation et de maturité, l’homme a besoin de ressources, et les richesses qu’il acquiert par son art ou par sa profession sont louables et méritoires aux yeux des hommes de sagesse, particulièrement pour les serviteurs qui se consacrent à l’éducation du monde et à l’instruction de ses peuples [...] [101]»

Le développement de la prospérité et la création d’un ordre social ne sont que la réalisation du commandement spirituel de Jésus «Aime ton prochain comme toi-même.» Baha’u’llah nous apprend comment appliquer ce commandement dans le monde moderne.


Notes

[90] Baha'u'llah, Les paroles cachées, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1977, p. 49-50, # 82.
[91] Shoghi Effendi, cité dans Le Kitab-i-Aqdas, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1996, p. 206
[92] ‘Abdu'l-Baha, Star of the West, Oxford, George Ronald, 1978, vol. XIII, tome 7, p. 227-228 [traduction].
[93] ‘Abdu'l-Baha, ‘Abdu'l-Baha in Canada, Toronto, Assemblée spirituelle nationale des baha'is du Canada, 1962, p. 34 [traduction].
[94] ‘Abdu'l-Baha, Star of the West, vol. VII, tome 4, p. 84.
[95] ‘Abdu'l-Baha explique que ces chiffres ne sont employés qu’à titre d’exemples.
[96] ‘Abdu'l-Baha, Les leçons de Saint-Jean-d’Acre, Paris, Presses universitaires de France, 1982, p. 271-272.
[97] Abdu'l-Baha, Les leçons de Saint-Jean-d’Acre, p. 273.
[98] Dans le cas des femmes, les dispositions s’appliquent mutatis mutandis.
[99] Une particularité intéressante de la formule baha'ie est d’inclure les dons volontaires comme une des sources de revenus. Peut-être est-il opportun de signaler ici que toutes les ressources financières permettant à la communauté mondiale des baha'is de faire face à ses activités proviennent uniquement de contributions volontaires de la part des croyants déclarés.
[100] ‘Abdu'l-Baha, The Promulgation of Universal Peace, Wilmette, Baha'i Publishing Trust, 1982, p. 187 [traduction].
[101] Baha'u'llah, Les tablettes de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1994, p. 34-35.

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