La renaissance de la civilisation
Par David Hofman


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Chapitre 8. LE SYSTÈME ADMINISTRATIF BAHA'I

Pour les raisons présentées au chapitre cinq, la religion s’est autrefois séparée des autres activités humaines. En fait, la civilisation occidentale a réussi à compartimenter la vie, ce qui a eu pour effet de diviser aussi les humains. Nous considérons les affaires, les loisirs, la politique, la religion, la vie sociale comme des activités séparées et distinctes que l’on doit poursuivre selon l’heure ou le jour.

La religion devrait coordonner toutes les fonctions de l’être humain, elle devrait animer toutes ses actions, leur donnant une signification et un but. Elle joue ce rôle pour les baha’is. Le caractère particulier de l’ordre administratif baha’i réside dans le fait qu’il offre, non pas un système ecclésiastique, mais une voie sociale par laquelle l’énergie d’une humanité renaissante peut s’exprimer. Les principes spirituels de Baha’u’llah peuvent vivifier les divers aspects de la vie.

Le christianisme fournit un exemple typique de la séparation de l’Église et de l’État. À l’époque des premières querelles entre le pape et l’empereur, s’appuyant sur ces paroles de Jésus: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu [102]», le christianisme a investi l’empereur du pouvoir temporel et le pape du pouvoir spirituel. Mais, pendant longtemps, c’était le pape qui détenait le plus de pouvoir. Quand Léon III a finalement remis la couronne du Saint Empire romain à Charlemagne, la séparation a été officiellement reconnue. La chrétienté ne s’en est jamais relevée.

Cette séparation de l’Église et de l’État, du gouvernement civil et de la religion, a entraîné deux manières d’agir différentes: privée et publique. Ce qui ressort clairement aujourd’hui dans le fait que le meurtre, l’incendie volontaire et le vol, qui sont condamnés chez l’individu, sont considérés, par l’État, comme des moyens faisant partie de ses droits et privilèges inaliénables.

Dans l’ordre mondial de Baha’u’llah, la religion n’est jamais séparée des autres activités humaines, qu’elles soient d’ordre administratif, économique ou culturel. Dans ce système, on ne trouve ni clergé ni politiciens professionnels, et le pouvoir économique n’est pas abandonné à une petite minorité, de telle sorte que les droits acquis des uns se transforment en droits au profit de tous. La religion devient ainsi un art de vivre et, grâce à l’alliance de Baha’u’llah, une véritable source d’unité.


8.1. L’Alliance

Dans tous les systèmes religieux du passé, la disparition du fondateur a laissé le champ libre à la discorde et à la division, et tous se sont divisés en sectes innombrables. Mais il n’y a pas de sectes baha’ies, et il ne pourra jamais y en avoir.

Le statut particulier d’‘Abdu’l-Baha, clairement défini dans le Testament de Baha’u’llah, protège la révélation baha’ie contre la formation de schismes. Baha’u’llah a conféré à ‘Abdu’l-Baha le titre de «Centre de l’alliance» et il a fait de lui le seul interprète légitime de ses enseignements. Bien qu’il occupe un rang inférieur, sa parole a la même valeur que la parole de Baha’u’llah lui-même. Voilà pourquoi les atta­ques déloyales portées contre la foi baha’ie après la mort de Baha’u’llah ont été impuissantes à en briser l’unité.

‘Abdu’l-Baha a perpétué l’alliance par les clauses contenues dans son propre testament. Ce document, défini comme la «Charte du nouvel ordre mondial», reflète la gloire de cette révélation suprême et en réalise la promesse. Dans ce testament, il a désigné Shoghi Effendi, l’aîné de ses petits-fils et l’arrière-petit-fils de Baha’u’llah, comme le Gardien de la Foi, et il a enjoint à tous les baha’is de lui obéir, promettant que «la puissante citadelle restera inexpugnable et en sécurité par l’obéissance à celui qui est le Gardien de la Cause de Dieu [103]».

Le Gardien a été mandaté à son tour par ‘Abdu’l-Baha comme le seul interprète des textes sacrés, protégeant ainsi la foi baha’ie de tout schisme.

Dans un de ses écrits, Baha’u’llah a institué la Maison Universelle de Justice et il l’a investie de l’autorité législative suprême. Il a décrété qu’elle serait sous la direction et la protection de Dieu. Une spécification si claire dans le texte sacré est pour les baha’is, la garantie que son autorité est véritable.

En créant le Gardiennat, ‘Abdu’l-Baha a placé le Gardien de façon permanente à la tête de la Maison Universelle de Justice, et a stipulé que ses successeurs, choisis dans la lignée mâle, occuperaient cette même position. Shoghi Effendi mourut, en novembre 1957, sans laisser de descendant. En 1963, la Communauté mondiale baha’ie était suffisamment développée pour élire, selon le plan du Gardien, la première Maison Universelle de Justice. Cet organisme, élu depuis à tous les cinq ans, perpétue, pour le monde baha’i, cette direction divine qui constitue le trait particulier de l’alliance de Baha’u’llah.

L’efficacité de l’alliance a déjà fait ses preuves au cours de l’histoire, courte mais mouvementée, de la communauté mondiale baha’ie. Les ennemis de la Foi ont tenté de profité des périodes de crise qui ont suivi la mort de Baha’u’llah et d’‘Abdu’l-Baha. Ils ont cherché à disperser les baha’is et à créer des divisions entre eux. Certains ont essayé, sans toutefois y parvenir, de s’emparer de la tête du mouvement, en contredisant de façon flagrante les directives données par Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha dans leurs testaments. Aujourd’hui, la foi baha’ie est répandue dans toutes les parties du monde, l’unité de ses disciples est indemne, et elle se fortifie davantage de jour en jour à mesure que sont accomplis des efforts nouveaux pour répandre ses enseignements.


8.2. Les assemblées spirituelles locales et nationales

Chaque communauté locale baha’ie élit son propre corps législatif. C’est une institution qui a été créée par Baha’u’llah et qui s’appellera dans le futur «Maison locale de justice». Pour l’instant, ces organisations sont appelées «assemblées spirituelles locales» et elles se comptent par plusieurs milliers partout dans le monde.

Le mode d’élection baha’i est unique. Il n’admet ni campagne électorale, ni mises en candidature, ni partisanerie. Essayer d’influencer le vote d’autrui est une offense qui peut justifier le retrait du droit de vote.

Tous les membres adultes [104] de la communauté ont le droit de voter. L’assemblée spirituelle est composée de neuf membres et chaque membre adulte de la communauté est éligible. À chaque année, au cours d’une réunion, chacun vote dans une attitude de prière pour neuf personnes, choisissant celles qu’il juge les plus dignes de se charger de la direction des affaires de la communauté. Les qualités qu’on recherche chez ces personnes sont celles «[...] de loyauté incontestée, de dévouement désintéressé, d’esprit bien formé, de facultés reconnues et de mûre expérience [105]». L’appartenance sociale et le degré de richesse ne sont pas pris en considération. Les neuf personnes qui obtiennent le plus grand nombre de voix deviennent les membres de l’assemblée spirituelle.

Toutes les questions qui concernent la communauté sont sous la juridiction de ce corps administratif. Il est à la fois le dépositaire, le serviteur, la cour d’appel et l’administrateur de toutes les affaires locales. Il veille attentivement au développement spirituel et matériel de sa communauté. Il désigne ses propres officiers parmi ses membres: président, secrétaire, trésorier, etc., et il nomme des comités à qui il confie l’organisation de diverses activités. Grâce à ces comités, les assemblées spirituelles peuvent utiliser et développer les compétences et les capacités de tous les membres de la communauté.

Les membres de l’assemblée spirituelle n’ont ni pouvoir ni privilège en tant qu’individus. Ce n’est qu’en qualité de corps administratif, dont l’existence découle des écrits saints, que l’assemblée détient son autorité.

L’assemblée spirituelle est responsable de l’organisation des fêtes et autres occasions spéciales. Lors des fêtes et des célébrations, elle en profitera pour mettre à contribution les talents de toute la communauté. Certains se chargeront alors de la musique, de la lecture des prières ou des passages tirés des Écrits saints, ou de préparer une brève causerie. Il n’y a pas de formes fixes pour ces rencontres et les rites sont interdits. Comme il n’y a pas de clergé, toute personne peut être chargée par l’assemblée spirituelle de préparer le programme d’une rencontre.

Tous les dix-neuf jours, l’assemblée spirituelle doit présenter un compte rendu à la communauté, consulter avec elle sur tous les sujets qui concernent la vie communautaire et recevoir des suggestions qu’il lui appartient ensuite d’examiner. Les rapports financiers et du secrétariat sont également présentés et soumis à la discussion. Ni l’administration locale, ni les affaires qui concernent les rapports avec d’autres communautés ne seront menées en secret.

Chaque année, des délégués, élus au niveau régional, se réunissent pour élire l’assemblée spirituelle nationale. Cette «Maison de justice» secondaire est décrite d’une manière très précise par ‘Abdul’-Baha dans son Testament. Ce sont les mêmes principes qu’au niveau local qui prévalent pour son élection, et elle se compose aussi de neuf personnes élues parmi l’ensemble de la communauté nationale. Le fait qu’il n’y a ni mises en candidature, ni campagne électorale permet d’élire des personnes dont on connaît les qualités spirituelles et intellectuelles.

L’assemblée spirituelle nationale dirige les affaires de la communauté nationale. Elle sert de cour d’appel aux assemblées spirituelles locales. Elle crée l’unité entre les communautés locales sous sa juridiction, et elle représente la communauté nationale dans ses relations avec la Maison Universelle de Justice et avec les communautés nationales.

La Maison Universelle de Justice est élue à tous les cinq ans par les membres des assemblées spirituelles nationales. Le nombre de ses membres est actuellement fixé à neuf.

Cette triple structure (locale, nationale et mondiale) fournit le meilleur moyen de parvenir à l’unité sans supprimer l’autonomie locale ou nationale. Elle permet le meilleur développement possible des localités, sans nuire au développement de la communauté mondiale.


8.3. La consultation

Ces corps administratifs fonctionnent selon le principe de la consultation, principe beaucoup plus développé que celui qui régit généralement les échanges et les discussions. D’habitude, les individus ou les représentants de partis qui débattent une question sont résolus, avant même d’entamer la discussion, à imposer leurs idées, et ils utilisent, pour y arriver, les pires ruses politiques ou simplement l’effet de surprise, ils jouent sur l’attachement à la ligne de parti ou rivalisent d’éloquence et de toute autre astuce leur permettant de persuader ou de convaincre l’adversaire.

Dans l’administration baha’ie, il n’y a ni partis politiques ni factions. Les problèmes à résoudre sont discutés dans un esprit de recherche de la vérité et de prière. Lorsqu’il est impossible d’obtenir une décision à l’unanimité - qui est vue comme hautement désirable -, la majorité l’emporte. Mais dans ce cas, la décision est vraiment considérée comme la décision de l’assemblée spirituelle et non celle d’une majorité qui l’emporte sur une minorité. Tous les membres doivent la soutenir et travailler à sa mise en application dans l’unité.

Une telle procédure exige un degré élevé de discipline personnelle et de maturité, qualités qu’on s’attend à trouver aujourd’hui chez l’individu. L’harmonie et l’unité d’action qui en résultent sont la réalisation des promesses de Baha’u’llah.

La «nouvelle alliance» dont ont parlé de tout temps les écrits saints a été établie. Elle concerne, d’une part, l’établissement de la Paix suprême et, d’autre part, l’obéissance aux successeurs désignés de Baha’u’llah: ‘Abdu’l-Baha, le Gardien et la Maison Universelle de Justice. Cette institution imposante a été dotée de l’autorité d’appliquer les lois et les principes de la révélation baha’ie, et de compléter ces lois si nécessaire. De plus, si elle ne peut changer aucune des stipulations du texte sacré, il lui est cependant loisible, lorsque les conditions l’exigent et à sa convenance, d’abroger ses propres décrets et de faire observer les lois de Baha’u’llah suivant les circonstances. Elle est donc à la fois dotée de souplesse et établie sur des bases solides.

Cette institution durera aussi longtemps que durera cette révélation et, comme elle prévient le développement de schismes semblables à ceux qui ont déchiré les religions du passé, la religion peut enfin devenir une véritable source d’unité pour le monde.

Lorsque l’ordre mondial de Baha’u’llah sera établi, au coeur de chaque communauté s’élèvera une Maison d’adoration [106], ouverte aux gens de toutes appartenances religieuses. Comme il n’y a ni cérémonies, ni liturgie, ni credos, ni rites dans cette religion purifiée, ce temple sera un endroit réservé à la méditation, à la prière et à la lecture de la Parole révélée. Tout autour s’élèveront des bâtiments consacrés à l’usage public, mais directement reliés à la Maison d’adoration, tels que des universités, des laboratoires de recherche, des écoles, des hôpitaux, des orphelinats, des résidences pour les personnes âgées.

La Maison de justice locale s’occupera des affaires de sa propre communauté. Les Maisons nationales de justice coordonneront le travail de ces organisations locales réparties sur leur territoire et se soumettront à leur tour à l’autorité de la Maison Universelle de Justice, corps administratif suprême du monde baha’i. Les lois universelles, révélées par Baha’u’llah dans le Kitab-i-Aqdas, le «Livre des lois», prévaudront dans le monde entier, mais il appartiendra aux corps administratifs nationaux et locaux de conduire leurs affaires, à l’intérieur de leur propre territoire. Dans les écoles, les enfants apprendront la langue et l’écriture universelles sans toutefois négliger leur langue maternelle. L’unité dans la diversité sera sauvegardée.

Nous voulons souligner le fait que le dessein de cet ordre administratif est tout à fait conforme et lié aux vérités spirituelles révélées par Baha’u’llah. On ne peut cependant le considérer comme une simple organisation ecclésiastique. Il faut plutôt le voir comme l’outil grâce auquel l’énergie spirituelle ranimée par Baha’u’llah dans les coeurs d’une race régénérée pourra atteindre son but. Les nouveaux principes proclamés par Baha’u’llah ne peuvent se développer dans le cadre des institutions existantes, établies à une époque où les races, les classes, les religions et les nations étaient en lutte. L’ère de l’unité du monde requiert des institutions mondiales. Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha les ont créées.

Shoghi Effendi, traitant de cet ordre administratif, écrit: «Lorsque ses parties composantes, ses institutions organiques commenceront à fonctionner avec vigueur et efficacité, il fera valoir son droit et démontrera son aptitude à être considéré, non point seulement comme le noyau, mais comme la structure même du nouvel ordre mondial destiné à englober, lorsque les temps seront révolus, l’humanité entière [107]

«L’équilibre du monde a été détruit sous l’action vibrante de ce très grand, de ce nouvel ordre mondial. L’ordre sur lequel reposait jusque-là l’humanité a été révolutionné par cet unique et merveilleux système, dont les yeux des mortels n’avaient jamais vu l’équivalent [108]

Sous son ombre, les humains trouveront la paix et la sécurité, quoiqu’il faille peut-être, pour transformer les haines farouches de ce siècle en une amitié durable, que la flamme d’une épreuve plus longue et plus sévère que celles du passé ne vienne purifier l’humanité. Mais déjà, au milieu des peines et du chaos du temps présent, les fondements de l’unité mondiale ont été jetés «sur des bases permanentes et inattaquables. Les tempêtes des luttes humaines sont impuissantes à en ruiner la base; les théories fantasques des hommes ne réussiront pas non plus à nuire à sa structure [109]


Notes

[102] Marc, 12, 7.
[103] 'Abdu'l-Baha, Le testament d’‘Abdu'l-Baha, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1984, p. 24.
[104] C’est-à-dire qui ont 21 ans et plus.
[105] Shoghi Effendi, Les principes de l’administration baha’ie, Paris, Assemblée spirituelle nationale des baha'is de France, 1968, p. 70.
[106] Appelée en persan Mashriqu’l-Adhkar ou «Point de l’aurore de la louange de Dieu».
[107] Shoghi Effendi, L’ordre mondial de Baha'u'llah, Bruxelles, Maisons d’éditions baha'ies, 1993, p. 133.
[108] Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha’u’llah, Bruxelles, Maison d’éditions baha'ies, 1979, # LXX, p. 90.
[109] Pour de plus amples informations sur la théorie politique et sociale de l’ordre administratif baha’i, voir du même auteur: A Commentary on the Will and Testament of Abdu’l-Baha.

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