Les voies de la liberté
Par Howard Colby IVES
(pasteur de l'Eglise Unitaire à la rencontre d'Abdu'l-Baha en 1912)


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Chapitre 14. Le départ, les dernières paroles prononcées par Abdu'l-Baha en Amérique, sept caractères distinctifs des préceptes, signes révélateurs du nouvel ordre mondial

"Toutes les manifestations divines sont venues dans le monde des hommes. C'est pourquoi nous devons examiner la base de la religion divine, en découvrir la réalité, la rétablir et diffuser son message à travers le monde, afin qu'elle devienne une source d'illumination et qu'elle éclaire l'humanité ; afin que ceux qui sont morts à la spiritualité redeviennent vivants, que les aveugles d'esprit recouvrent la vue et que ceux qui négligent Dieu se réveillent".
Abdu'l-Baha

Une scène remarquable se déroula le matin du 5 décembre 1912, dans une des cabines-salons du vapeur S.S. Celtic, amarré au quai d'embarquement du port de New-York, et pourtant, bien rares furent ceux qui en comprirent le véritable sens.

Ce grand paquebot moderne allait partir pour Naples. En montant sur la passerelle, je me trouvai au milieu de l'agitation indescriptible et de la bousculade qui se produisent habituellement lors du départ d'un navire de ligne. Amis venant dire un dernier adieu, et qui rient avec les yeux humides ; officiers de marine hurlant des ordres ; coups de sifflet des bacs qui passent ; uniformes, blouses de travail, roulements de bagages, femmes, enfants et, sur tout cela, les rayons d'un clair soleil hivernal.

J'aperçus plusieurs de mes amis et les rejoignis au moment où ils se dirigeaient vers la grande cabine-salon qu'on avait réservée à la scène des adieux. Ici, l'atmosphère était très différente. Les bruits du dehors y pénétraient bien, mais amortis par la sérénité d'un autre monde. Abdu'l-Baha se trouvait là, et tous les traits de son visage exprimaient la beauté. Sa robe d'un blanc crémeux tombait jusqu'à ses pieds. Son fez était posé de côté, comme je m'étais habitué à le voir parfois. Le fait est que la position de cette coiffure me semblait souvent révéler sa disposition d'esprit : quand il était d'humeur enjouée, il le portait légèrement incliné ; pour souhaiter la bienvenue, un peu en arrière ; fermement planté sur sa couronne de cheveux argentés quand il était grave ou sérieux ; et enfoncé sur son front bombé lorsqu'il voulait marquer l'autorité et le commandement. Je fais peut-être là des distinctions fantaisistes, mais durant mes nombreuses entrevues avec lui, j'avais passé de longs moments à observer cette imposante figure, et d'autres que moi ont dû remarquer qu'un de ses gestes les plus caractéristiques consistait à lever involontairement la main pour ajuster le fez à un nouvel angle.

Je me souviens de cette scène comme si elle datait d'hier. Le grand salon, bas de plafond, était bondé. Il y avait là une centaine d'amis, peut-être plus. Les persans qui l'avaient accompagné en Amérique l'entouraient ou, pour parler plus exactement, s'étaient groupés derrière lui. Une caractéristique de l'attitude des Orientaux à l'égard du Maître est ce fait remarquable qu'aucun d'eux, en aucune circonstance, n'eût songé à se tenir en face de lui ou même à ses côtés, à moins d'y être invité ou de lui transmettre un message. Même quand une seule personne l'accompagnait en promenade ou causait avec lui, elle demeurait toujours un peu en arrière. Les Orientaux, en lui parlant, gardaient les yeux baissés comme devant un roi. Combien différente était l'attitude des croyants d'Occident ! En toutes circonstances, notre démocratie tant vantée a des allures très libres, mais en présence de la grandeur spirituelle, la vraie liberté, c'est l'humilité. Peu d'entre nous avaient trouvé des sièges, car chaises et fauteuils étaient rares et nous étions nombreux. Derrière lui se tenait l'interprète qui, depuis longtemps, lui servait de secrétaire, et maintenant l'accompagnait encore dans son voyage de retour.

Alors, il parla. Pour la dernière fois en ce monde, cette voix bien-aimée résonna à mes oreilles. J'ai souvent parlé de la qualité incomparable de cette voix que n'oubliera jamais celui qui a vraiment su l'entendre. Dotée comme nulle autre d'une sonorité de cloche, elle semblait résonner des harmonies d'un autre monde, et l'on pouvait presque imaginer l'accompagnement de choeurs invisibles.

"Nous sommes réunis ici pour la dernière fois. Voici mes dernières paroles d'exhortation. Je vous ai maintes fois appelés à défendre la cause de l'unité de l'humanité, et je vous ai annoncé que tous les hommes sont serviteurs du même Dieu... C'est pourquoi vous devez témoigner la plus grande bonté et le plus grand amour à toutes les nations et rejeter le fanatisme, abandonner les préjugés de religions, de nationalité et de race... C'est pourquoi celui qui offense son prochain offense Dieu... Dieu aime également tous les hommes. Cela étant vrai, les brebis doivent-elles se quereller entre elles ? Elles devraient témoigner leur gratitude et leur reconnaissance à Dieu et la meilleure manière de remercier Dieu est de s'aimer les uns les autres.

Prenez garde de ne blesser aucune âme et de ne médire de personne en son absence, de crainte de vous éloigner des serviteurs de Dieu... Efforcez-vous de donner du bonheur aux affligés, de la nourriture aux affamés, des vêtements aux indigents, et de glorifier les humbles. Soyez le soutien des faibles et témoignez de la bonté à votre prochain afin de plaire à Dieu. Ceci contribuera à illuminer le monde des humains et vous assurera la félicité éternelle. Je demande à Dieu qu'il vous accorde la gloire immortelle : tel est l'objet de ma prière et de mon exhortation"
("Promulgation of Universal Peace", pages 464-465).

Faisant allusion à la guerre qui sévissait alors dans les Balkans, il prononça cette phrase bien frappante si l'on songe à ce qui devait arriver deux ans plus tard : "Un feu qui peut embraser le monde est allumé dans les Balkans". Puis il continua en ces termes :

"Quant à vous, faites de nobles efforts. Travaillez de tout votre coeur et de toute votre âme, en sorte que, grâce à vous, la lumière de la paix universelle resplendisse... que tous les hommes ne forment plus qu'une seule et même famille ; que l'Orient prête assistance à l'Occident, et que l'Occident apporte son secours à l'Orient...

Songez que les prophètes envoyés sur la terre, les grandes âmes et les sages qui ont vécu parmi les hommes les ont exhortés à réaliser l'unité et l'amour. Tel fut le but de leurs conseils et de leur message... Songez aussi combien le monde fut insouciant car, malgré les efforts et les souffrances des prophètes de Dieu, les nations sont encore en butte à l'hostilité et à la guerre... Quelle légèreté et quelle ignorance chez les peuples de l'univers ! Combien épaisses les ténèbres qui les enveloppent ! Bien qu'ils soient les enfants d'un Dieu compatissant, ils continuent de s'opposer à sa volonté et de lui déplaire... Dieu bénit et protège leurs foyers tandis qu'eux, dans leur fureur, détruisent et saccagent réciproquement leurs maisons...

"Quant à vous qui êtes instruits des mystères de Dieu, votre devoir est d'une autre sorte. Vos yeux sont illuminés, votre ouïe est devenue plus fine ! Vous devez vous montrer pleins d'amour et de bonté les uns envers les autres et envers l'humanité entière. Vous êtes sans excuse devant Dieu si vous ne vivez pas selon ses commandements, car vous êtes informés de ce qui doit lui plaire. Vous avez entendu ses commandements et ses préceptes. Vous devez donc témoigner de la bonté à tous les hommes et traiter vos ennemis mêmes comme des amis. Considérez ceux qui vous veulent du mal comme s'ils avaient de bonnes intentions à votre égard, et ceux qui sont malveillants comme s'ils étaient sympathiques et agréables, de façon qu'un jour, peut-être, ces ténèbres de discordes et de luttes entre les hommes se dissipent et que la lumière divine resplendisse ; que l'Orient s'illumine et que l'Occident soit plein de parfums, et qu'enfin l'Orient et l'Occident fraternisent dans l'amour et se témoignent une sympathie et une affection réciproques.

Tant que l'homme n'aura pas atteint ce noble état, le monde des humains ne connaîtra pas le repos et n'accèdera pas à la félicité éternelle. Mais si l'homme vit conformément à ces divins commandements, ce monde terrestre se transformera en un monde céleste et cette sphère, domaine de la matière, deviendra un paradis de gloire.

Je veux espérer que vous réussirez dans cette haute mission afin que, semblables à des lampes brillantes, vous répandiez la lumière sur l'humanité, ranimant et revivifiant les êtres par l'Esprit de vie.

C'est là l'éternelle gloire, la félicité sans fin, la vie immortelle, l'accès au royaume céleste. Voilà ce qui s'appelle être créé à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Et c'est à ce but élevé que je vous invite, en priant Dieu de vous fortifier et de vous bénir"
("Promulgation of Universal Peace", pages 464-467).

Tous les êtres supérieurs des temps passés et présents ont formulé de telles idées et un tel idéal, mais en cette grande crise de l'humanité, ces idées impliquent des choses toutes différentes.

1) Ce ne sont plus seulement des exhortations mais bien des commandements. Notez la répétition des mots "vous devez".

2) Ces commandements sont caractérisés par leur perfection (je parle ici de la révélation complète et entière de Baha'u'llah, illustrée par l'exemple qu'en a donné la vie d'Abdu'l-Baha) et par leur application précise aux besoins de l'heure présente.

3) Jamais encore dans l'histoire de l'humanité, l'esprit de l'homme moyen n'a atteint ce degré de maturité et n'a été aussi bien préparé à écouter ces commandements et à les observer ni aussi conscient en général de la nécessité pressante et immédiate de les appliquer.

4) Depuis au moins treize cents ans, pas une seule personne n'a formulé de tels commandements inspirés par un tel idéal et encore moins ne les a mis en pratique.

5) Ces commandements ne s'adressent ni à un groupe particulier ni à une seule nation ou à une seule race, mais bien à tous les humains en particulier et à tous les peuples de la terre ; cet appel a pour but d'instaurer un ordre mondial entièrement nouveau, une civilisation internationale d'un type différent et fondé sur ces divines révélations dont il se réclame sans équivoque possible. Les volumineux écrits et les explications détaillées de Baha'u'llah et d'Abdu'1-Baha ont nettement défini les grandes lignes de cet ordre mondial et ont aussi donné les directives quant à sa mise en oeuvre au point de vue pratique.

Afin que le lecteur ait une idée de ce que ce nouvel ordre mondial envisage, je cite un passage du "But d'un Nouvel Ordre Mondial" écrit en 1931 par Shoghi Effendi. Gardien de la foi baha'ie. Il reproduit le texte d'une tablette adressée par Baha'u'llah aux rois et dirigeants du monde:

"O Rois de la terre ! Nous vous voyons accroître vos dépenses chaque année et en faire supporter la charge par vos sujets. Cela est manifestement tout à fait injuste. Craignez les soupirs et les larmes de cet Opprimé et n'imposez pas de fardeaux excessifs à vos peuples... O rois de la terre, réconciliez-vous, afin de n'avoir à vous armer que dans la mesure nécessaire à la défense de vos territoires et de vos empires...

Soyez unis, ô Rois de la terre, car de la sorte la tempête de la discorde s'apaisera parmi vous et vos peuples trouveront le repos, si vous êtes de ceux qui comprennent. Si l'un d'entre vous prenait les armes contre un autre, levez-vous contre lui, car ce ne serait là que justice manifeste"
("La Proclamation de Baha'u'llah", pages 11 et 12).

Et voici le commentaire de Shoghi Effendi :

"Quelle autre signification pourraient avoir ces fortes paroles, si elles n'étaient pas une allusion directe à l'inévitable limitation de la souveraineté nationale absolue, préliminaire indispensable à la constitution de la future communauté de toutes les nations du monde. Une formule de super-Etat mondial devra nécessairement être élaborée, Super-Etat en faveur duquel toutes les nations du globe devront, de leur plein gré, abandonner : toute prétention à faire la guerre, certaines de leurs facultés à lever des impôts et tous droits de maintenir des armements, à part ceux requis pour la sauvegarde de l'ordre à l'intérieur de leurs souverainetés respectives. Un tel Etat devra comporter dans le cercle de ses prérogatives et de ses attributions : un pouvoir exécutif international capable d'imposer son autorité suprême et irrésistible à tout membre récalcitrant de la communauté des Etats du monde ; un parlement mondial dont les membres seront élus par les peuples de leurs pays respectifs, avec confirmation subséquente de leur élection par leur gouvernement ; un tribunal suprême dont les sentences seront obligatoires, même au cas où les parties intéressées n'auraient pas volontairement consenti à soumettre leur cas à un examen. Ce super-Etat sera une communauté mondiale dont les barrières économiques auraient été à jamais supprimées et où la dépendance réciproque du capital et du travail sera explicitement reconnue, les clameurs du fanatisme et des luttes religieuses calmées pour toujours, et la flamme de l'animosité raciale à jamais éteinte. Un seul code de lois internationales, issu du jugement respecté des représentants fédérés du monde, disposera pour ses sanctions de l'immédiate intervention coercitive des forces combinées des unités fédérées. Le super-Etat sera une communauté mondiale dans le sein de laquelle l'ardeur capricieuse du nationalisme militant aura été convertie en une conscience stable du droit de cité mondial. Tel en vérité nous apparaît, dans ses plus grandes lignes, l'ordre mondial prévu par Baha'u'llah et qu'on arrivera à considérer comme le plus beau fruit d'un âge qui parvient lentement à maturité" ("Le But d'un Nouvel Ordre Mondial", Shoghi Effendi, pages 21-22).

6) Quatre-vingt-treize ans se sont écoulés depuis que le Bab apporta son message et soixante-quatorze ans depuis que Baha'u'llah proclama publiquement sa mission et son rang. Durant cette période, et surtout depuis seize ans où Shoghi Effendi commença à exercer ses fonctions de Gardien et organisa la structure administrative du nouvel ordre mondial, les quelques millions de croyants enrôlés dans tous les pays du monde ont formé une armée cohérente, persévérante, prête au sacrifice individuel, une armée qui reconnaît sans réserve l'origine divine de ces commandements et est prête à leur obéir de façon absolue.

Ce phénomène sans précédent a éveillé l'attention des savants, hommes d'Etat et laïcs capables de réfléchir. D'année en année, ce mouvement est allé en s'accélérant. C'est ainsi que, dans un monde plein d'agitation, de confusion et de discorde, dans un monde d'insécurité et d'efforts incohérents, on voit nettement croître et se développer un nouveau type d'humanité, une conception nouvelle du gouvernement et du citoyen, une vision neuve des possibilités pratiques de la vie humaine sur cette planète.

7) A quelque cause qu'on puisse l'attribuer, il devient de plus en plus évident que les esprits les plus larges, les hommes d'Etat les plus sages de notre monde, même sans rien savoir de la vie de Baha'u'llah ni reconnaître sa qualité, acceptent une grande partie, sinon la totalité, de ses préceptes.

Le lecteur serait en droit de demander une preuve de cette dernière assertion. Il me faudrait un volume pour citer ici tous ceux dont la compétence est universellement reconnue et qui sont plus ou moins qualifiés pour parler avec intelligence des affaires mondiales. Les fragments ci-contre indiquent simplement les tendances de la pensée moderne que seules de longues lectures pourraient approfondir.

"La coopération doit être la pensée directrice. C'est, non pas un pays en particulier, mais le monde entier qui doit être organisé en une seule communauté. Il faut supprimer les armements nationaux et ne conserver qu'une force de police pour maintenir l'ordre. Les pays où les femmes ont le plus d'influence dans les affaires publiques sont démocratiques et aiment la paix".
Arthur Henderson, président de la Conférence du Désarmement, à un dîner donné par les organisations féministes du groupe consultatif.

Nous voyons ici que, non seulement l'auteur préconise deux des commandements de Baha'u'llah, mais encore qu'il indique en termes presque identiques la méthode à suivre pour arriver au désarmement. Il reconnaît aussi la sagesse des paroles de Baha'u'llah concernant le rôle de la femme à notre époque.

"On ne saurait trop encourager et louer la libre recherche scientifique, éternel effort de l'homme pour saisir les formes changeantes et multiples de la vérité".
Gustave Adolphe, prince héritier de Suède, dans son discours au Festival de Printemps, à l'université d'Upsal.

Le lecteur trouvera peut-être cette dernière citation quelque peu banale, mais n'oublions pas qu'à l'époque où Baha'u'llah proclama que "la libre recherche de la vérité" est la première condition requise dans une civilisation divine, cette conception n'était généralement pas admise. Quand j'étais enfant, la théorie de Darwin sur l'origine des espèces donna lieu, pendant plusieurs années, à une ardente controverse. Etait-il possible de l'admettre, bien qu'elle fût en contradiction avec l'histoire des origines de l'homme selon la Genèse ? Et je crois me rappeler qu'aujourd'hui encore, dans un des Etats de notre pays si éclairé, il existe une loi très strictement mise en vigueur. On n'y recherche pas si la théorie de l'évolution renferme ou non une part de vérité, mais seulement s'il est possible de la justifier par une interprétation ignorante et partiale des paroles écrites il y a plusieurs milliers d'années. Galilée, Roger Bacon et Copernic ne sont pas morts depuis si longtemps, et nous possédons encore le livre de l'Index Expurgatorius.

Il est indéniable que, jusqu'au milieu du siècle dernier, le soin de définir la vérité en dernier ressort incombait exclusivement à des ecclésiastiques, et que la libre recherche scientifique était chose difficile, pour ne pas dire plus.

La liberté de la pensée n'a pris naissance qu'au moment où Baha'u'llah publia ses commandements relatifs à l'unité de la science et de la religion. Coïncidence ? Si vous voulez, mais c'est un fait.

"La révolution des temps présents n'a pas un caractère économique mais spirituel. Les hommes d'aujourd'hui voient s'accomplir des changements plus importants et d'une portée plus étendue qu'aucun de ceux enregistrés depuis les commencement de l'histoire. Grâce à la science, nous sommes devenus les maîtres incontestés des forces de la nature. Il y a assez de blé pour nourrir tous les hommes, assez de laine pour les vêtir, assez de pierre et de mortier pour les abriter, et pourtant, le tableau que nous présente le monde n'est qu'une vaste scène de désolation et de désespoir.
Il faut donc qu'il y ait quelque vice dans ce tableau ! C'est bien là ce que nous voulons dire. Ne serait-il pas plus honnête d'avouer que "le vice réside en nous-mêmes"?
"Etre ou posséder ?". Je soumettrai cette alternative angoissante à tous ceux qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et le vrai courage spirituel qui est la base de tout progrès durable."

Hendrick Van Loon, "Etre ou posséder".

"Il se peut que toute liberté soit illusoire, aussi longtemps que nous ne sommes pas libérés de notre moi... Peut-être qu'en prenant plus profondément conscience d'une fraternité à laquelle nous ne pouvons nous dérober, et en devenant plus sensibles aux valeurs spirituelles, nous verrons naître une foi durable qui unira les différents peuples de ce pays en leur donnant un même idéal... Nous avons besoin d'être unis par une même foi qui, en éclairant notre route, nous allège d'une partie des responsabilités dont nous portons actuellement le fardeau."
Margaret Cary Madeira, "Revue mensuelle Atlantic".

"Aucun système de relations entre les hommes ne peut réussir, s'il est basé sur une attitude et une intention d'exploitation mutuelle.
Tout système réussira qui aura pour base l'esprit de service mutuel. Et, en vérité, avec cet esprit, on n'aurait plus besoin de système"
.
Jas. H. Cousins, "Le Jeune Constructeur".

"Qu'on aborde les questions économiques, raciales ou internationales (et elles ont du reste bien des aspects communs), on verra partout les signes annonciateurs de l'âge d'or. Cette époque bénie ne viendra pas automatiquement, mais bien, comme toutes les réformes, parce que des âmes héroïques, faisant bon marché de leur vie, auront transposé du plan idéal au plan réel ces vérités pour lesquelles Jésus-Christ a vécu et pour lesquelles il est mort."
D.G.W. Stafford, de l'université du Temple, Seattle, à l'institut des Affaires mondiales.

"Les relations de solidarité de notre nouvelle civilisation jouent un rôle vital, non seulement au point de vue de nos besoins matériels, mais aussi de nos besoins spirituels.
Spirituellement, nous ne pouvons revenir aux divisions en cloisons étanches, aux fidélités limitées, aux mesquineries sectaires qui caractérisaient l'ancienne façon de vivre. Une voie nouvelle et plus large a été tracée ; et, bien qu'à l'occasion, on pourra perdre la direction comme il arrive en ce moment, la tendance vers une économie mondiale et une conscience de citoyen de la même planète se dessine trop fortement pour pouvoir disparaître de manière définitive."

Raymond B. Fosdick, "Revue Scientifique américaine".

On pourrait multiplier presque indéfiniment de telles citations et montrer le commandement précis de Baha'u'llah qui correspond à chacune d'elles ; il est certain que toute personne non prévenue, après avoir étudié même superficiellement les écrits de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha, trouvera partout des exemples prouvant que ces commandements exercent leur influence aussi bien dans la presse quotidienne que dans les magazines à la mode, les annonces des laboratoires, des conseils nationaux, des ateliers d'inventeurs et d'artisans. "De quelque côté que nous regardions ou que nous écoutions", nous voyons et entendons que leurs paroles se réalisent et qu'on obéit à leurs commandements.

Durant le séjour d'Abdu'l-Baha en Amérique, quelqu'un déplora devant lui la détresse qui régnait alors dans le monde (et qui n'a cessé de s'accroître depuis lors). Il répondit : "Ne vous troublez pas. Quoi qu'il advienne dans l'avenir, vous saurez toujours que tout ce qui arrive doit hâter la venue du royaume de Baha'u'llah. Sa volonté est suprême".

Dans un discours à Montclair (New-Jersey), le 23 juin 1912, Abdu'l-Baha s'exprima en ces termes :

"Parmi les prophètes de Dieu pas un n'était arrivé à la célébrité ; cependant, ils ont été supérieurs à tous en puissance spirituelle. L'amour est la souveraineté éternelle. L'amour est la force divine capable de renverser et de vaincre tous les rois de la terre. Est-il rien qui démontre mieux cette vérité que l'oeuvre accomplie par Baha'u'llah ? Il apparut en Orient et fut exilé, puis emprisonné à Saint-Jean d'Acre, en Palestine. Deux monarques puissants et despotiques se dressèrent contre lui. Durant son exil et son emprisonnement, il écrivit aux rois et aux maîtres du monde, des tablettes pleines d'autorité où il proclamait sa souveraineté spirituelle, établissait la religion de Dieu et levait l'étendard céleste de la cause de Dieu" ("Promulgation of Universal Peace", page 206)

Et ailleurs, à l'occasion d'un dîner, à Washington-D.C, le 22 avril 1912, dix jours seulement après son arrivée en Amérique, il disait :

"Le fait même de nous trouver réunis ici aujourd'hui est une preuve de la merveilleuse influence que Baha'u'llah exerça dans le monde, grâce à la puissance de l'amour de Dieu. C'est à cause de lui que des hommes sont venus des régions les plus lointaines de la Perse et de l'Orient pour rencontrer à cette table les gens d'Occident et fraterniser avec eux dans des sentiments de parfait amour, d'affection et d'harmonie. Voyez comment la puissance de Baha'u'llah a réuni l'Orient et l'Occident ! Et Abdu'l-Baha est ici, en train de vous servir. Il n'a fallu pour cela ni verges ni coups de poing, ni fouet ni glaive. Seule, la puissance de l'amour de Dieu a accompli cette oeuvre" ("Promulgation of Universal Peace", page 40).

Voici où je veux en venir : Baha'u'llah se réclame d'une puissance divine qui dirige souverainement les hommes et les nations et n'est autre que la puissance de l'amour de Dieu. Tout ce qui arrive actuellement dans le monde est une preuve évidente de cette puissance souveraine ; une étude comparée des commandements de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha, de leur vision prophétique et des événements qui se sont déroulés dans le monde depuis 1853, apporte la preuve des effets réels de cette puissance. Enfin, de toutes parts, dans toutes les régions du globe, parmi des gens de mentalités différentes exerçant des activités diverses, nous décelons les indices certains d'une rapide évolution de l'opinion universelle dans le sens d'un ordre mondial correspondant exactement au plan que Baha'u'llah a tracé, qu'Abdu'l-Baha a promulgué et dont sa vie a donné l'exemple. En ce moment même, au centre international à Haïfa en Palestine, le petit-fils d'Abdu'l-Baha, Shoghi Effendi, organise ce plan, lui donne sa structure administrative et le met en oeuvre.

Quel est alors le tableau complet de la situation ? L'esprit humain ne saurait l'embrasser dans toute son ampleur, et même en demeurant dans ses limites, nous sortirions du cadre de ce livre. Mais nous en avons dit assez pour pouvoir esquisser ici les parties essentielles de ce tableau.

Nous voyons un petit groupe de quelques millions d'êtres humains de toutes nationalités, races et croyances, disséminés dans toutes les régions de la terre et qui, tous, reconnaissent sans réserve en Baha'u'llah le législateur suprême qui doit instaurer dans le monde une civilisation nouvelle. Ils sont prêts, pour le servir, à sacrifier toutes choses, même leur vie. D'autre part, travaillant en complète harmonie avec ce groupe, nous voyons la Société des Nations évoluer graduellement dans le sens de ces lois, et l'opinion mondiale prendre conscience du fait qu'elles sont indispensables à l'existence d'une vraie civilisation.

Enfin, nous voyons à présent, de nos propres yeux, le cadre de cette nouvelle économie mondiale s'élargir rapidement sous l'impulsion administrative de Shoghi Effendi. Que celui qui lit ces lignes avec un esprit ouvert fasse son enquête et se demande si, en toute sagesse, un tel mouvement peut être passé sous silence.

Revenons maintenant à la scène des adieux sur le paquebot S.S. Celtic. Quand Abdu'l-Baha eut achevé sa brève allocution, il fit approcher tour à tour toutes les personnes présentes afin de leur serrer la main et de leur donner, avant de partir, une dernière marque d'amour. Cette scène fut profondément impressionnante et empreinte toute entière d'une signification inexprimable. Nous nous sentions dans une atmosphère embaumée et à mille lieues des bassesses sordides de notre monde. Tandis que, lentement, nous défilions devant lui, il puisait dans la masse de fleurs qui l'entouraient et en offrait quelques-unes à chacun de nous (à la fin il ne restait plus une seule fleur). Quand vint mon tour, une fois de plus, je perdis conscience de tout, sauf du fait bouleversant qu'il était là, si proche, et qu'en ce monde, je ne le reverrais jamais plus et n'entendrais plus sa voix bien-aimée. Je tombai impulsivement à genoux et, lui prenant la main, la plaçai sur ma tête. Jamais je n'oublierai la souplesse de ce bras et de cette main et leur état de complète passivité. C'était comme un poids mort que je serrais. Mais une lumière transcendante illuminait son visage.

Telle fut l'impression finale et ineffaçable que je gardai de cette humilité suprême, de cet esprit d'effacement, de servitude et d'amour dont, sans aucune défaillance, ses moindres actions étaient empreintes.

Les amis réunis sur le quai levaient les yeux vers le visage de leur Maître pendant que le navire glissait lentement vers le fleuve. Abdu'l-Baha se tenait à la lisse. Le souffle de la brise agitait sa chevelure et sa barbe blanches, tandis que, droite et majestueuse, sa silhouette se détachait nettement. Sur ses lèvres qui remuaient, je lisais facilement ces mots : "Allah'u'Abha ! Dieu est le Très-Glorieux ! Dieu est le Très-Glorieux !"


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