Archéologie du royaume de dieu
Par Jean-Marc Lepain


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Chapitre VIII Herméneutique et théosophie des mondes divins

VIII.1. Symboles et langage analogique

On comprend maintenant aisément pourquoi, après avoir affirmer que la réalité ultime de l'univers ne pouvait être directement appréhendée par l'intellect, le langage doit emprunter une voie détournée pour tenter d'en communiquer l'expérience. Ceci explique que le langage de Baha'u'llah soit essentiellement symbolique. Il ne faut cependant pas se méprendre sur le sens de ces symboles et de ces métaphores et y voir de pures allégories.

Dans le langage analogique de Baha'u'llah le symbole acquiert une existence ontologique propre comme schème intermédiaire entre la réalité spirituelle visée et notre intelligence conceptuelle. Il ne s'agit donc pas d'un procédé littéraire, car dans la littérature, l'expression symbolique renvoie toujours à une réalité conceptuelle, soit sensible, soit intelligible, dont il existe déjà une représentation. Ce n'est pas le cas lorsque Baha'u'llah utilise des expressions telles-que la "langue de grandeur" ou "la plume suprême".
Dans la fameuse Tablette de la hourie céleste (lawh-i-huriyyih) Baha'u'llah décrit l'expérience de l'intimation de sa mission dans la prison du Siyah-Chal sous la forme de l'apparition d'une Hourie céleste. Cependant 'Abdu'l-Baha a expliqué que cette hourie était une expression purement métaphorique de l'expérience vécue par son père. La métaphore a ici pour but de décrire une réalité purement intelligible dont la représentation est impossible à l'esprit humain. Ceci nous montre que dans ce cas, la forme symbolique ne correspond à aucune réalité sensible.

A chaque expression correspond une multitude de plans symboliques dont seule une ascèse personnelle permet de parcourir les degrés. Le livre revêt donc une multitude de significations dont l'homme n'a jamais fini d'épuiser le sens.


VIII.2. L'homme-macrocosme et l'esprit anthropique

Baha'u'llah commence par affirmer que la connaissance du monde dépend de la connaissance de l'homme. Il affirme:

"... L'homme a reçu du très miséricordieux la faculté de voir et il a également été doué par lui du pouvoir de l'entendement. D'aucuns l'ont représenté comme le type du microcosme, alors qu'il est en réalité le type du macrocosme. Les potentialités inhérentes à la condition humaine, la pleine mesure de sa destinée sur terre, l'excellence innée de sa réalité essentielle, tout cela doit être manifesté en ce jour promis de Dieu...". (285)

En insistant sur le fait que c'est l'homme qui est le macrocosme et l'univers le microcosme, Baha'u'llah renverse la perspective qui fut celle de tous les courants gnostiques, hermétistes et théosophiques qui se sont succédés depuis l'Antiquité. Mais que veut-il dire réellement?

On peut comprendre cette affirmation de plusieurs façons qui ne sont sans doute pas exclusives mais complémentaires. Le premier sens du concept de l'homme-macrocosme, est que l'univers a été créé en vue de l'apparition de l'homme. L'homme-macrocosme est donc la superposition d'un principe téléologique et d'un principe anthropique. Le principe téléologique est un élément essentiel, et même indispensable, à toute théosophie. Il affirme que l'évolution de l'univers obéit à un plan pré-établi. L'ordre du monde est donc un ordre en devenir et ce devenir obéit à une loi divine ou cosmique qui ne laisse rien au hasard, ou plutôt qui se sert du hasard pour parvenir à ses fins. Le sens de l'univers est donc à rechercher dans l'existence de l'homme et on sait quelle réponse donne Baha'u'llah à ce problème: l'homme a été créé pour qu'il existe dans l'univers une créature capable de connaître son créateur. Baha'u'llah écrit:

"Ayant créé le monde et tout ce qui y vit et s'y meut, Dieu voulut conférer à l'homme, en privilège unique, par l'opération directe de sa volonté libre et souveraine, la capacité de le connaitre et de l'aimer, le dotant ainsi d'une faculté dont l'exercice doit être regardé comme la raison d'être et la fin principale et dernière de toute la création...". (286)

Sans cette conscience l'existence de l'univers perdrait toute signification. Par "homme" il ne faut pas comprendre nécessairement l'espèce humaine, mais plutôt une intelligence. Cette intelligence a existé avant l'homme terrestre, car Baha'u'llah dit que c'est de tout temps, dans une création qui n'a jamais eu de commencement, que quelqu'un a existé pour connaître le créateur.
Cette intelligence constitue donc une sorte de principe cosmique, un Esprit anthropique susceptible de prendre des formes diverses, puisque nous ne sommes vraisemblablement pas la seule conscience dans l'univers (287), et que de plus, à chaque âge de l'univers, cette conscience capable de connaître son créateur a dû exister sous une forme ou sous une autre. Nous ne sommes même pas sûrs que la forme matérielle qu'assume cette conscience soit la seule possible et la possibilité qu'elle soit capable de se manifester sous une forme purement spirituelle n'est pas exclue.

L'homme est donc le couronnement de la création. Nous reviendrons sur ce point en parlant de l'ontologie de l'esprit; car s'il occupe cette position, c'est parce qu'il est la manifestation la plus achevée de l'esprit dans l'univers et que de ce fait il se trouve à la jonction du monde matériel et du monde spirituel.

Nous voyons donc comment dans la perspective baha'ie le principe téléologique est inséparable du principe anthropique (288):

"l'univers est tel qu'il est parce que si l'univers était différent, l'homme n'existerait pas". A ce principe bien connu, la pensée baha'ie ajoute: "et si l'homme n'existait pas l'univers serait impossible".

Le principe de l'homme-macrocosme signifie donc que l'homme est la mesure de toute chose; que c'est en lui que se trouve la clé de l'univers. Ce n'est donc qu'à partir de la connaissance de soi que l'homme peut connaître le monde.


VIII.3. La théophanie des Noms divins

Cependant, le principe de l'homme-macrocosme peut recevoir une seconde acceptation qui est reliée à la théologie des Noms divins: toute chose est une manifestation des noms divins; la création est donc une théophanie. Baha'u'llah affirme constamment que le ciel, le soleil, la mer, le désert portent le témoignage de la grandeur de Dieu:

" Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre porte en soi la preuve directe des attributs et noms de Dieu, puisqu'en tout atome sont enchâssés des signes qui portent de la révélation de cette grande lumière un éloquent témoignage (...) combien resplendissantes sont les lumières de connaissance qui brillent dans un atome, et combien vastes les océans de sagesse qui s'enflent et s'agitent dans une goutte d'eau!". (289)

L'univers dans son ensemble témoigne de son créateur et révèle ces signes car "son image se reflète sur le miroir de la création" (290). Ailleurs, il ajoute:

"Est vraiment croyant en l'unité de Dieu, quiconque reconnaît en toute chose créée et en chacune d'elle, le signe de la révélation de Celui qui est la Vérité éternelle...". (291)

Toutes ces citations montrent que Baha'u'llah considère réellement chaque chose créée comme une manifestation des attributs divins. Cependant, chaque chose manifeste ces attributs dans la mesure de son rang et de ses capacités. Ainsi naît l'ordre dans l'univers, et cet ordre implique une hiérarchie qui ne soit pas traduite par la supériorité d'une chose sur une autre, mais plutôt par la fonction de son "service" puisque toute chose créée, ultimement, a été créée pour le "service" du créateur. Cette idée que les choses se distinguent par l'éclat des attributs divins qui se reflètent en elles, est attestée par cette citation:

"A toute chose créée, Il a confié un signe de sa science prise à la source sublime et émanant de l'essence même de sa Bonté, afin que chacune soit, selon son rang et dans la mesure de sa capacité, une expression particulière de cette science universelle. Et ce signe est le miroir de sa Beauté dans le monde de la création. Plus il aura été fait d'efforts pour purifier ce noble et sublime miroir, plus fidèlement il réfléchira la gloire des noms et attributs divins et mieux il révèlera les merveilles des Signes de la Science de Dieu. Tel est le pouvoir de réflexion conféré à toute chose créée, qu'un jour viendra où, chacune d'elles révélant tout le potentiel de son état prédestiné, et prenant à la fois conscience de ses capacités et de ses limites, attestera cette vérité qu'"Il est Dieu et qu'il n'y a d'autre Dieu que Lui ..." . (292)

Ces quelques lignes nous font prendre conscience de l'extraordinaire densité de la pensée de Baha'u'llah. Vouloir s'attaquer à un commentaire exhaustif de ces lignes nécessiterait certainement des pages et des chapitres qui iraient bien au-delà de notre modeste étude. L'interprétation de ce passage repose essentiellement sur le sens du mot "toutes choses".
Le concept de "toutes choses" (Kullu shay) est fondamental dans les écrits du Bab qui donne à cette expression un sens ésotérique et mystique (293). Sans doute, le mot a-t-il ici une double valeur: celle du sens obvie qui ramène "toutes choses" à l'ensemble de la création et le sens spirituel qui fait de "toutes choses" la récapitulation de la création. Nous voyons donc ici apparaître le concept de rang qui distingue les choses entre elles, et nous voyons également ressurgir en liaison l'une avec l'autre cette théologie des Noms et cette théologie spéculaire auxquelles nous avons déjà fait allusion.

Mais ce texte nous paraît comprendre une autre idée qui jusqu'à présent semble avoir été totalement négligée: c'est que l'univers entier, et pas seulement l'homme, est animé d'un mouvement vers la perfection. Certes, le monde en tant que création est parfait, mais il ne s'agit que d'une perfection potentielle. Cela réconcilie les deux grandes idées de Baha'u'llah sur la nature: d'une part la Nature est l'incarnation des Noms de Dieu; d'autre part la Nature est imparfaite et a besoin d'un gardien (vali) d'un jardinier (l'homme) pour être amenée à son état de perfection, tout comme l'homme a besoin d'un éducateur divin pour développer sa nature sprituelle.
Remarquons qu'ici il est clairement indiqué que la position de l'homme par rapport au monde de la nature est similaire à celle de la Manifestation divine par rapport au monde humain.
L'homme est la Manifestation divine pour le monde de la Nature. Il est son prophète. Il a été fait le Régent de ce monde. Ainsi, ce mouvement de perfection est universel. Il affecte aussi bien les forces cosmiques à l'oeuvre dans les galaxies que les secrets de l'évolution cachée dans l'A.D.N. Ces considérations sur une loi d'évolution universelle vers la perfection infinie sont surprenantes; la philosophie et la science n'ont sans doute pas fini d'en mesurer la profondeur.

Nous voyons poindre ici le deuxième sens de l'identification de l'homme au macrocosme. Si chaque chose a un rang, et si ce rang dépend de la mesure où cette chose reflète les Noms et attributs de Dieu, alors l'homme, en tant que manifestation de l'Esprit anthopique, se trouve au sommet de la création et il est le macrocosme, car à lui seul il reflète une plus grande mesure des Noms et attributs divins que tout le reste de l'univers. Il est la récapitulation de l'univers et ce qui lui donne un sens. Il est le principe herméneutique universel.


VIII.4. Herméneutique et interprétation anagogique

Affirmer que les Écrits de Baha'u'llah sont écrits dans un langage symbolique pose immédiatement la question de l'interprétation de ses symboles. On a souvent cru à tort que Baha'u'llah rejetait toutes formes d'interprétation herméneutique (ta'wil) alors qu'il n'a fait qu'en limiter l'usage. Il est vrai que Baha'u'llah regarde le ta'wil avec beaucoup de réserve. La raison en est qu'à son époque, son développement excessif, et le caractère laxiste de son emploi, avait quasiment ruiné toute forme sérieuse d'exégèse. Ainsi, dans le Livre de la Certitude, il constate :
"...Les hommes ont toujours demandé l'explication des livres à ceux dont l'intelligence était étouffée sous les voiles, et qui ne prennent pas la peine d'aller chercher le savoir à sa source" (294).
Il est vrai que le ta'wil joue un grand rôle dans le shi'isme duodécimain. On sait que ces méthodes d'exégèse dites "herméneutiques" étaient nées dans la Grèce du Vème siècle d'avant l'ère chrétienne dans des milieux pythagoriciens. Les grecs commençaient à être choqués par le comportement des Dieux et des héros de l'épopée homérique, aussi voulurent-ils interpréter leur comportement en fonction d'un sens caché qu'il fallait décripter. Théogéne de Rhégium fut le premier à suggérer une interprétation symbolique de la poésie homérique.
Par la suite, Anthistène fit de Ulysse le prototype du sage, et Métrodore de Lampsaque inventa une clé interprétative où les héros et les Dieux incarnaient soit des forces de la nature soit des états de l'âme humaine. Les méthodes connurent un grand succès dans l'Antiquité et furent notamment appliquées à l'Enéïde de Virgile, aux Livres Sybilins et aux Oracles chaldéïques.
C'est à Alexandrie que la méthode se transmit aux rabbins juifs qui trouvaient dans la Bible les mêmes problèmes que les grecques dans Homère : comment admettre que Lot puisse commettre l'inceste avec ses filles, ou David se livrer à l'adultère? Philon d'Alexandrie fut le premier commentateur juif à se servir des méthodes herméneutiques pour résoudre de telles difficultés, et c'est par son intermédiaire que ces méthodes pénétrèrent dans le Christianisme et dans l'Islam. Cependant, le ta'wil musulman est resté indépendant de l'herméneutique chrétienne.
Dans le Christianisme l'introduction de telles méthodes ne se fera pas sans problème et opposera violemment au IIIe siècle l'École d'Alexandrie, avec Clément et Origène, à l'École d'Antioche, avec Théodore de Mopsueste et Théodoret de Cyr. Ces méthodes seront également accueillies avec beaucoup de réserve par les théologiens musulmans sunnites. Ce sont d'abord les sufis puis les ismaéliens qui donneront au ta'wil toute son importance au point où celui-ci deviendra dans le shi'isme persan une méthode exégétique quasiment exclusive.

Le concept de ta'wil est lui-même un concept islamique. On lit dans le Coran :

"Il est celui qui a révélé le livre dans lequel se trouvent des versets clairs (muhkamat) et d'autres qui sont obscurs (mutashabihat : c'est-à-dire "ambivalents", "qui suscitent le doute") ceux dont le coeur est enclin à la déviation suivent les versets obscurs par amour de la sédition et par désir de les interpréter (itighaa ta'wilihi). Mais nul autre que Dieu ne connaît leur interprétation (ta'wilahu). Ceux qui sont versés dans le savoir (rasikhun) disent "Nous croyons à tout ce qui vient de Dieu" et ceux qui sont doués d'intelligence réfléchissent". (295)

Le Coran est donc loin de faire l'apologie du ta'wil. Cependant, il est possible que dans ce texte le mot ta'wil n'ait pas encore le sens technique que lui prêteront les exégètes des siècles postérieurs.


VIII.5. De l'imagination active à la vision spirituelle

Dans sa version shi'ite le ta'wil sera un exercice qui s'éloignera de plus en plus de la lettre et finira par considérer celle-ci comme négligeable. Ses adeptes considèrent que le Coran est descendu du ciel par l'axe de la révélation (nubuwa) et qu'il doit, pour être compris, y être reconduit par l'axe du ta'wil, car le mot ta'wil, selon eux, vient de l'arabe "premier" (awwal) et signifie "reconduire à sa source".
Pour reconduire le Coran à sa source, il faut s'élever avec lui au ciel. Le ta'wil prend donc les allures d'un voyage initiatique. Or, en Perse, le ta'wil va être particulièrement influencé par la théorie de l'imagination d'Avicenne et d'Ibn 'Arabi. Le ta'wil a donc pour but de donner accès au Malakut, conçu comme "intermonde" (barzakh) et Monde imaginal ('alam-i-mithal). La faculté imaginative doit s'élever au dessus du plan terrestre (mulk) pour dépasser le monde sensible et atteindre le point où les êtres corporels se spiritualisent en formes et images autonomes.

Mais évidemment le problème devient rapidement celui de distinguer le fruit de la véritable faculté imaginative, qui est pure intellection des réalités spirituelles, des fruits amers de l'imagination terrestre, liée à la subjectivité du moi que Baha'u'llah appelle "vaines imaginations" (awham). Le shi'isme butera sur ce problème sans parvenir à le résoudre.
L'usage fantaisiste du ta'wil, lié à un usage non moins fantaisiste de l'ijtihad (interprétation juridique des textes), entraînera à partir du XVIIIe siècle la disparition de toute norme dans les sciences religieuses et favorisera l'émergence d'une foule de "mujtahid" locaux prétendant tous avoir une part à l'illumination. Il s'en suivra la disparition progressive de toute forme d'orthodoxie religieuse et l'instauration du système du t'aqlid (imitation).
Ce système enjoint à chaque fidèle de se déclarer imitateur (muqalid) d'un mujtahid (docteur versé dans l'interprétation des écritures) qui deviendra son "point focal d'initiation" (marja'-i-t'aqlid) et dont il sera obligé de suivre toutes les décisions. L'instauration de ce système occupera tout le XVIIIe siècle donnant lieu à la fameuse querelle des Akhbaris et des Usulis qui verra la victoire de ces derniers. A partir de ce moment, l'organisation du clergé shi'ite va prendre une allure quasi féodale, car chaque mujtahid a le devoir de devenir l'imitateur d'un mujtahid plus grand que lui.
Au sommet, on placera un peu plus tard les Ayyatu'llah-i-'Uzma (grand Ayyatu'llah). Le système de l'imitation (t'aqlid) sera sévèrement condamné par Baha'u'llah dans le Livre très saint (Kitab-i-Aqdas). C'est pour cela que Baha'u'llah répète fréquemment que quiconque veut le suivre doit oublier tout ce qu'il a appris de ses maîtres et de ses pères, et rompre tout attachement à une quelconque doctrine humaine pour mener sa propre investigation.

La psychologie de Baha'u'llah est très différente des systèmes qui l'avaient précédé. Contrairement à ce que certains ont cru, Baha'u'llah ne nie pas le rôle de l'imagination, simplement il répugne à utiliser une telle expression et il tient à en redéfinir le sens. Si on appelle "imagination" la faculté de saisir, directement, ou par l'intermédiaire de la parole divine contenue dans les Écrits saints, les réalités spirituelles existant dans les mondes supérieurs et en particulier dans le Malakut, alors cette faculté existe; c'est ce que Baha'u'llah appelle le "coeur" ou encore "la vision spirituelle" (basira). Il existe cependant une distinction fondamentale entre l'imagination créatrice d'Avicenne ou d'Ibn 'Arabi et cette forme d'imagination.
Alors que l'imagination visionnaire vise à saisir des vérités globales dont l'herméneutique (ta'wil) devra avoir une portée universelle, "la vision spirituelle" que définit Baha'u'llah vise à saisir des vérités dont l'herméneutique n'aura, elle, un sens que par rapport au degré de développement de l'individu qui la produit, et elle se verra nier toute portée universelle.

C'est le sens profond de la Tablette de toutes les nourritures en particulier. Non seulement, il existe un sens herméneutique pour chaque monde, mais la perception de ce monde, ou du sens de la parole divine, est conditionnée à l'état spirituel. Nous verrons que cette position a des conséquences philosophiques considérables qui lient l'épanouissement spirituel de l'homme à l'établissement de son autonomie psychologique.

Comprendre le sens des Écrits saints nécessite donc de s'élever au-dessus de sa condition terrestre pour monter aux cieux du sens spirituel (ma'ani). L'esprit du visionnaire est alors décrit par Baha'u'llah comme un esprit planant dans des espaces infinis.


VIII.6. Esotérisme et exotérisme

Baha'u'llah prend soin de distinguer entre le sens exotérique (zahir) de l'écriture et le sens ésotérique (batin), bien que ce soit une terminologie qu'il n'utilise que rarement. Au sens exotérique correspond le commentaire exégétique (tafsir). Au sens ésotérique correspond le commentaire herméneutique (ta'wil) que l'on ne peut aborder que par la purification du coeur. Le tafsir est permis sans réserve, le ta'wil doit avoir un usage limité.
Mais surtout, ce qui importe à Baha'u'llah, c'est que le sens exotérique ne soit pas sacrifié au sens ésotérique. Il aborde directement ce thème dans la Sourate de W'al-Shams (296). Il écrit que les exégètes du Coran sont de deux sortes: Ceux qui ont négligé l'exotérique pour se consacrer entièrement à l'ésotérisme et ceux qui ont négligé l'ésotérisme pour se consacrer uniquement à l'exotérisme. Les deux sont dans l'erreur. Ceux qui se sont contentés de l'exotérique sont des "ignorants" (jahil), et ceux qui ont abondonné l'exotérique pour l'ésotérisme sont des "négligeants" (ghafil). Seul peut être considéré comme un véritable croyant ('ibad), celui qui n'a négligé aucun des deux sens et qui a saisi le verbe divin dans sa totalité.

Mais que faut-il entendre par "exotérique" et "ésotérique" ? Il semble que dans les Écrits de Baha'u'llah le mot "exotérique" (zahir) vise deux choses: la lettre du texte et l'observance des lois religieuses.

Nul ne peut saisir l'ésotérisme s'il n'a préalablement saisi la lettre du texte. Le ta'wil ne peut annuler le sens obvie. Celui-ci est un marchepied destiné à nous faire franchir les premiers degrés de l'ascension. L'autre sens du mot vise l'aspect formel de la religion et en particulier les lois du statut personnel (tashri') telles que la prière, le jeûne et l'ensemble des observances spirituelles, mais aussi toutes les lois subsidiaires qui vise à préserver la dignité de l'homme et à lui assurer un comportement conforme à l'éthique.
La critique de ceux qui ont abandonné l'exotérique au profit de l'ésotérisme vise donc certaines catégories de soufis qui croyaient que la pratique des exercices spirituels (dhikr, par exemple) dispensait de l'observance des autres lois religieuses et pour cette raison ne craignaient pas de s'adonner à une vie dissolue en consommant notamment de l'alcool et des drogues. D'autres chefs religieux, surtout parmi le clergé orthodoxe, pensaient être parvenus à un tel degré d'accomplissement religieux, qu'ils réclamaient de leurs fidèles des marques extraordinaires de dévotion et détournaient les lois à leur profit.

Le premier enseignement que Baha'u'llah dispense dans l'introduction même du Livre très saint, c'est que la base de toute vie spirituelle repose sur deux devoirs jumeaux indispensables: le premier est la reconnaissance de la Manifestation divine, le second est l'observance de ses lois. Or, Baha'u'llah insiste que l'un n'a pas de valeur sans l'autre. Avoir reconnu la Manifestation de Dieu ne procure aucun profit spirituel si on ne se conforme pas à ses enseignements. Cela va à l'encontre de la croyance de la plupart des chrétiens et des musulmans qui demeurent persuadés qu'il suffit de croire au Christ ou à Muhammad pour être sauvé et que la foi est supérieure aux actes.

Inversement, nul ne peut se prévaloir d'une vie pieuse s'il n'a, personnellement, reconnu la Manifestation divine. Nous touchons à l'ésotérique (batin) au sens où l'emploie Baha'u'llah. Avoir reconnu la Manifestation de Dieu ne signifie pas se prévaloir du nom de Musulman, de Chrétien ou de Baha'i. Cela signifie avoir établi avec le prophète un lien personnel et intime qui dénote la connaissance familière d'une personne qui a longtemps vécu dans l'intimité de quelqu'un. Ce n'est qu'à travers cette relation familière que l'on peut avoir accès à l'ésotérique (batin) des textes et donc à leur herméneutique (ta'wil).


VIII.7. Les limites de l'herméneutique spirituelle

Baha'u'llah va fixer trois limites à l'herméneutique (ta'wil). Les deux premières limites excluent deux domaines : celui des prophéties et celui des lois (tashri') du comportement individuel. La troisième limite correspond au caractère individuel non normatif de tout sens herméneutique dégagé.

Dans le Livre de la Certitude, Baha'u'llah déclare :

"Il est évident que le sens véritable (ta'wil) des paroles de ces oiseaux d'éternité n'est révélé à quiconque, si ce n'est à ceux qu'a manifesté l'Être Éternel, et les mélodies du rossignol de sainteté (Baha'u'llah) ne peuvent atteindre d'autres oreilles que celles des habitants du Royaume éternel". (297)

Ce texte marque la grande réserve de Baha'u'llah à l'égard du ta'wil; réserve qui rappelle tout à fait celle que nous avions déjà trouvée dans le Coran. Cette condamnation vise essentiellement l'interprétation des prophéties qui est l'objet du Livre de la Certitude, mais peut éventuellement être étendue à d'autres domaines. Le seul véritable ta'wil est celui qui émane de la plume des Manifestations de Dieu. Chaque révélation se compose d'un enseignement directe et exotérique et d'un enseignement voilé et caché. Il appartient à chaque prophète de révéler le ta'wil de la révélation précédente. Baha'u'llah écrit dans le Livre de la Certitude:

"Vous savez donc que les colombes éternelles (azaliyyih) et les Oiseaux d'Identité (huwiyyih) parlent deux langages. L'un exotérique (zahir), sans aucun symbole (ramz) et sans obscurité, sert à guider les hommes et à les attirer vers les hauteurs sublimes et les lieux de la rencontre, ce sont les claires traditions et les versets évidents. L'autre langage est voilé ; il sert à éprouver les méchants et à les faire connaître tels qu'ils sont. C'est la balance divine et la pierre de touche éternelle, avec laquelle les serviteurs sont éprouvés ; et nul ne connaît ce langage, hormis ceux dont le coeur détaché est en repos, et dont l'âme est satisfaite. Ce dernier langage ne doit pas être interprété à la lettre". (298)

Les signes du jugement dernier, de la grande parousie, ou de la résurrection qui sont exposés dans l'Évangile ou dans le Coran n'étaient pas destinés à l'enseignement exotérique. Leur sens véritable était voilé et impénétrable; leur signification "scellée" (makhtum) comme le vin précieux est scellé dans des amphores jusqu'à ce qu'il murisse. Seule, la main du prophète a, comme dans l'Apocalypse, le pouvoir de briser les sceaux et de révéler ce qui était caché à l'intelligence des hommes. Même lorsque quelques esprits perspicaces avec la permission de Dieu, parvenaient à s'approcher du sens véritable des prophéties, les autres hommes restaient privés de tout moyen de distinguer la vérité de l'erreur. C'est pour dissiper cette erreur que l'oeuvre du Bab n'est qu'un long ta'wil.

Baha'u'llah a également consacré une partie de son oeuvre à la rédaction du ta'wil. Le Livre de la Certitude est pour l'essentiel un long ta'wil. Nous en donnerons seulement quelques exemples. Ainsi, il écrit un commentaire sur un passage de l'Évangile qui dit : "Le soleil s'obscurcira, la lune ne donnera pas sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel". Baha'u'llah commence par expliquer que le mot "soleil" peut revêtir plusieurs sens. Il signifie parfois "les soleils de Réalité qui se lèvent des horizons éternels et répandent le bien sur l'univers" (299). Baha'u'llah développe ensuite longuement cette idée en comparant l'action du soleil physique sur la vie à l'action des Manifestations divines sur le coeur de l'homme. "C'est grâce à la chaleur de ces soleils divins et de ces feux spirituels que la flamme de l'Amour de Dieu brûle avec ardeur dans le coeur de l'homme". Ainsi, "l'esprit vivifiant est donné aux mortels". Baha'u'llah passe ensuite à un aspect plus philosophique:

"Et quand on dit que ces soleils sont différenciés par leurs attributs, ce n'est vrai que pour les esprits faibles et superficiels ; mais en réalité ils sont au-dessus de tous les noms et attributs. L'essence des noms n'a pas d'accès à leur sainte présence, et les nobles qualifications ne sont pas reçues à leur glorieux royaume ." (300)

Puis, Baha'u'llah explique que dans d'autres textes, le mot "soleil" prend un autre sens. Ainsi dans la Prière de Nudbih révélée pour commémorer le martyre de Husayn, le mot soleil désigne les saints Imâms. Baha'u'llah en vient graduellement à la conclusion:

"le soleil, lune, étoile signifient donc premièrement les prophètes, les saints et leurs disciples. Ce sont eux par qui la lumière de leur connaissance font briller le monde visible et invisible." (301)

Plus loin, il aborde encore un sens différent. Les mots "soleil" et "lune" désignent les chefs religieux, car se sont eux qui, après la mort du prophète, ont pour mission d'illuminer le ciel de la religion. Ainsi, lorsque les livres saints parlent de "l'obscurcissement du soleil" cela désigne la fin des grands magisters religieux telle que la fin du califat ou l'abaissement du pouvoir pontifical. Cela explique la parole de Muhammad "En vérité, le soleil et la lune sont condamnés au feu de l'enfer". Mais nous n'avons malheureusement pas la place de citer ici les très belles pages de ce commentaire.

Baha'u'llah poursuit :

"On emploie en troisième lieu les mots soleil, lune, étoiles pour désigner les connaissances et les commandements qui sont proclamés dans chaque religion." (302)

Plus loin, il ajoute :

"Les traditions contiennent également les noms de soleil et de lune dans le sens de jeûne et de prière." (303).

Enfin, il conclut :

"C'est ainsi que les Manifestations de Dieu se servent du langage symbolique. L'obscurcissement du soleil et de la lune et la chute des étoiles ont donc trait à l'obstination des docteurs et à l'abrogation des commandements. Personne ne peut boire à cette coupe symbolique des prophètes, hormis les justes et les honnêtes (...) .

On sait qu'à chaque nouvelle Manifestation, le soleil des commandements et des défenses, qui avait brillé dans la précédente Dispensation, perd son éclat et les peuples qui avaient vécu à l'ombre de ces commandements sont subitement privés de lumière: l'autorité de la précédente Manifestation est abolie." (304)

Dans la Sourate de Wa'l-Sham, Baha'u'llah reprend le même thème et brodant autour des différents sens du mot "soleil", il aborde des questions plus métaphysiques qu'exégétiques. En parlant du "soleil de la divinité" (uluhiyya) ; du "soleil du gardiennat" (wilayya), du "soleil de la volonté" (mashiyya) et de "soleil de la volution" (irada), Baha'u'llah y explique également le sens du mot "nuit" et du mot "ciel"; citant notamment le "ciel du sens symbolique" (ma'ani) : le "ciel du savoir" (ma'rifat), le "ciel mystique" ('irfan), le "ciel de la religion", le "ciel de la science ('ilm), le "ciel de la sagesse", le "ciel de la grandeur", le "ciel de l'élévation", le "ciel de la splendeur" (ijlal), etc (305).

Nous n'avons rapporté ces quelques exemples de ta'wil que pour donner un aperçu de la méthode. C'est la même méthode que celle que nous avions déjà entrevue dans la Tablette de toutes les nourritures à propos des mondes divins. Ainsi pourrions-nous dire que le mot "monde" a dans les Ecrits baha'is trois types de sens : un sens empirique qui s'adresse à une réalité indépendante de l'homme, un sens ontologique que nous avons déjà longuement exploré, et un sens herméneutique. De cette façon, il est possible de dire qu'à chaque monde correspond un ciel et un soleil.
On remarquera tout ce que cette méthode herméneutique a de commun avec la lecture anagogique développée en milieu chrétien par l'École d'Alexandrie. Certaines exégèses de Baha'u'llah n'auraient pas été reniées par Clément d'Alexandrie ou par Origène. Néanmoins, Baha'u'llah prend soin de ne jamais rompre le lien entre la description ontologique et la description herméneutique. L'une et l'autre sont aussi inséparables que l'exotérique l'est de l'ésotérisme et vice versa. Nous commençons également à entrevoir que pour Baha'u'llah à toute description de l'univers, qu'il s'agisse du monde physique ou spirituel, correspond toujours un aspect herméneutique.

Nous voyons donc quelle importance revêt le ta'wil dans l'oeuvre de Baha'u'llah. Mais d'une certaine façon, ce ta'wil est toujours lié à une pensée eschatologique. Le ta'wil a pour fonction primordiale d'expliquer les signes de la nouvelle manifestation et de démontrer son pouvoir. A travers le ta'wil les livres saints sont révélés à nouveau; c'est notamment le cas du Coran à travers les très nombreux Commentaires (tafsir) qu'en donne le Bab.
Il est important de comprendre ce concept de seconde révélation, autrement il devient impossible de saisir le lien qui peut unir les Tafsir du Bab et de Baha'u'llah. Certains orientalistes se sont étonnés du lien extrêmement lâche qui peut parfois relier le commentaire au texte commenté. C'est méconnaître toute la fonction herméneutique de ces commentaires qui ont pour but, non pas de dévoiler un sens secret et ésotérique, mais de faire apparaître un sens "actualisé" dans la nouvelle Révélation.

Si le ta'wil est une fonction de la révélation, on comprend pourquoi Baha'u'llah en réserve l'usage aux prophètes. S'il rejète le ta'wil humain, ce n'est pas pour contester la valeur du ta'wil en lui-même mais parce que tout ta'wil humain ne peut avoir qu'une portée secondaire devant le ta'wil divinement révélé.

Le second domaine d'où Baha'u'llah exclut le ta'wil est celui des lois religieuses (shari'a; tashri'). Peut-être aucun domaine n'encourt une condamnation plus sévère, car pour lui l'application du ta'wil à ce domaine entraîne le détournement des lois religieuses, la perte de l'orthodoxie, et l'introduction d'un subjectivisme qui risque de dissoudre toute norme sociale.
Cette critique va dans deux directions; d'une part, comme nous l'avons signalé, elle vise les soufis dont certains s'affranchissaient facilement de la loi religieuse, et d'autre part les mujtahid, les docteurs de la loi, qui par leurs interprétations laxistes détournaient la loi à leur profit. Baha'u'llah insiste sur le fait que ses lois ne doivent être interprétées autrement que dans leur sens le plus évident. Cela ne veut pas dire que ces lois ne renforcent pas un sens plus caché; mais une fois de plus ce sens caché ne peut vivre au dépend du sens obvie.

Ces deux limitations épuisent-elles le domaine du ta'wil qui devait être considéré comme définitivement interdit ? Loin de là ! Mais peut-être n'est-ce qu'une concession de Baha'u'llah à la faiblesse humaine. Seuls restent ouverts à l'interprétation du croyant les textes purement spirituels concernant le développement de la vie intérieure. Mais là encore, Baha'u'llah ajoute des restrictions.
Cette interprétation ne doit pas avoir aucun pouvoir normatif; elle doit rester personnelle à chaque croyant, même si elle a un certain droit à s'exprimer en public. Cette interprétation, qui représente la seule forme légitime d'un ta'wil, repose sur l'idée qu'il existe une compréhension des Écrits saints correspondant à chaque état spirituel que traverse le croyant.
Au fur et à mesure que nous progressons dans notre développement spirituel, nous voyons s'ouvrir devant nous de nouveaux sens de l'Écriture ; mais ce serait une erreur que de croire que ces sens ont une portée universelle. Ils n'ont de valeur que dans leur correspondance avec l'état vécu. Partager notre vision des Écrits à partir de notre état spirituel peut être enrichissant, mais vouloir donner à ces interprétations un pouvoir normatif serait dangereux, car ce serait interférer avec le processus de développement spirituel des autres croyants.
Les textes qui restent ouverts à de telles interprétations sont des textes comme les Paroles cachées ou les Sept Vallées qui dépeignent les états mystiques. Une pratique, qui sans doute est appelée à prendre un grand essor dans le développement de la mystique baha'ie, consiste à s'assembler en groupe pour lire un passage des paroles cachées qui est ensuite librement commenté par chaque membre du groupe en prenant soin d'éviter toute opposition de point de vue et tout débat puisque, par définition, l'interprétation n'a de valeur que pour la personne qui l'émet mais peut néanmoins contribuer à enrichir les autres.

Nous revenons finalement à cette affirmation fondamentale des Sept Vallées que les différences que le voyageur perçoit dans les différents mondes divins tiennent à la condition du chercheur lui-même.


VIII.8. Une théosophie Baha'ie

Nous avons vu la portée herméneutique de la hiérarchie des mondes divins. Cependant nous devons prendre garde à ne pas affirmer que par son système métaphysique, Baha'u'llah ne vise que le seul aspect herméneutique de la gnose et qu'il renonce totalement à saisir la réalité empirique de l'univers. Cette réalité empirique est autant présente dans l'oeuvre de Baha'u'llah que la refléxion sur les réalités spirituelles ; elle vise même à jeter un pont entre les deux. C'est en ce sens que nous disons que la pensée de Baha'u'llah se présente comme une véritable théosophie. Nous entendons bien sûr le mot théosophie dans son sens technique (306).

Trois éléments doivent être réunis pour constituer une théosophie : une gnose, une herméneutique et une philosophie de la Nature. La théosophie se présente donc comme la recherche de l'ultime réalité de l'homme et de l'univers à travers un véritable voyage initiatique qui est celui de la métamorphose de l'âme humaine et la transformation de l'être intérieur.
Cette gnose, en tant qu'acquisition de la connaissance des choses divines, ne peut reposer que sur le pouvoir transformateur de la parole révélée et sa méditation. La théosophie vise à établir un rapport entre les livres saints, les hiérarchies célestes et la réalité empirique de la Nature comme manifestation des signes divins.
Cette oeuvre ne peut donc se faire qu'à travers une herméneutique qui lie les manifestations naturelles à des sens spirituels reflétant les lois générales de la création et à l'ordre caché du monde. Cette démarche théosophique repose donc sur une illumination intérieure associée à une démarche rationnelle permettant d'explorer les rapports entre les différents mondes matériels et spirituels.

La théosophie part donc du principe que la réalité de l'univers ne se résume pas à la seule réalité empirique. Il existe une réalité cachée plus vaste qui se laisse deviner à travers les signes du réel. Néanmoins une simple démarche spéculative ou expérimentale ne suffit pas pour accéder à ce réel caché. Sa compréhension nécessite de l'homme un véritable arrachement à sa condition terrestre, afin de reformuler sa connaissance de la nature sensible, et de partir de cette connaissance pour discerner à travers les signes du réel les traces d'une réalité beaucoup plus vaste. C'est en ce sens que toute théosophie suppose une véritable philosophie de la nature, car c'est l'ordre naturel qui nous permet d'entrevoir l'ordre céleste.


VIII.9. Le Talisman suprême

Baha'u'llah affirme que "l'homme est le talisman suprême" (307). Cette phrase est généralement mal comprise faute de connaître le sens technique du mot talisman (tilism) (308). Certes, le mot en arabe et en persan peut également désigner un objet magique supposé attirer ou repousser la chance, mais le mot peut également revêtir un autre sens. Le talisman par excellence est la coupe du roi Jamshid (jam-i-jam) dont la légende dit que ce fut le désir de la posséder qui poussa Alexandre à entreprendre la conquête du monde. La coupe de Jamshid avait cette particularité qu'en regardant dedans on pouvait voir n'importe quelle partie du monde. Ainsi affirmer que l'homme est "le talisman suprême" signifie qu'en regardant dans l'homme on peut voir la récapitulation de l'ensemble de la création, c'est-à-dire la manifestation la plus parfaite des Noms et attributs divins. C'est ce que Baha'u'llah affirme dans de multiples tablettes:

"Sur l'essentielle réalité de chaque atome créé, Il a répandu la lumière d'un de ses Noms, et de chacune d'elles il a fait le siège d'un de ses Attributs. Mais sur la réalité de l'homme Il a concentré l'éclat de tous ses Noms et Attributs et Il en a fait le miroir de sa propre personne. Seul entre toutes choses créées, l'homme a été choisi comme l'objet d'une si grande faveur." (309)

Et lorsque Baha'u'llah affirme qu'en "tout atome sont enchâssés des signes qui portent de la révélation de cette grande Lumière un éloquent témoignage", il ajoute aussitôt après:

"Mais cela est surtout, et à un suprême degré, vrai de l'homme, qui, entre toutes choses créées, a été revêtu de la robe d'un tel bienfait, et choisi pour la gloire d'une telle distinction, car en lui sont virtuellement révélés à un degré qu'aucune autre chose créée ne saurait atteindre, tous les attributs et noms de Dieu. (...)." (310)

Dans le même texte, il écrit un peu plus loin:

"C'est en l'homme la plus noble et la plus parfaite de toutes les choses créées que se manifeste le mieux la force de cette révélation, et c'est lui qui en exprime le plus complètement sa gloire." (311)


VIII.10. L'homme comme fondement de la connaissance

C'est en tant que manifestation de la gloire divine dans le Monde créaturel que l'homme exprime sa fonction macrocosmique dans l'univers, et c'est parce qu'il est la créature qui a la plus grande capacité de refléter les Noms divins qu'il peut être considéré comme la récapitulation de toute la création et comme ce qui lui donne son sens comme principe herméneutique universel. Cependant, il existe une autre signification au concept de Talisman suprême.
Dans la tradition persane, un talisman est un instrument magique qui, comme la coupe du roi Jamshid, permet d'accéder à la connaissance universelle (symboliquement savoir ce qui se passe en tout lieu et à tout moment). Dire donc que l'homme est le Talisman suprême revient à affirmer que la connaissance universelle se trouve en l'homme, qu'il en est la source, même si cette connaissance demeure cachée et peut lui paraître inaccessible. Nous nous trouvons devant un concept fondamental de l'épistémê baha'i. Le fondement de la connaissance se trouve dans l'homme lui-même.
Rien en-dehors de l'homme ne peut garantir l'intelligibilité totale de l'univers. Il n'existe pas dans la réalité objectivable extérieure à l'homme un principe qui garantisse le fondement de la connaissance.
Le fait que ce soit l'homme qui soit le fondement de la connaissance et non pas la réalité extérieure, découle directement de l'idée que l'homme est macrocosme par rapport à un univers microcosme et qu'il est ainsi le principe herméneutique universel de celui-ci. Il s'agit d'une approche typiquement phénoménologique dont il faudrait étudier toutes les implications. Mais cette conception phénoménologique de la connaissance et du monde ne ressemble pas à la phénoménologie husserlienne ,en ce sens qu'elle vise à éviter certaines des conséquence de l'idéalisme et qu'elle ne renonce pas à saisir la réalité en soi.


VIII.11. Connaissance de soi et connaissance de Dieu

Nous voyons comment la connaissance de l'essence de l'homme conduit à la connaissance du monde, mais nous voyons également comment cette connaissance du monde et de l'univers est inséparable de la connaissance de Dieu. Baha'u'llah a souvent repris et commenter la fameuse tradition de Muhammad "Il a connu Dieu celui qui s'est connu soi-même". Car, ainsi que l'affirme 'Abdu'l-Baha dans une de ses Tablettes (312), il est impossible pour un homme qui ne connaît pas Dieu de se connaître lui-même, car la connaissance de Dieu est comme la lumière du soleil qui nous permet de voir. Vouloir se connaître soi-même sans avoir connu Dieu, c'est comme vouloir reconnaître un objet dans l'obscurité; pour voir chose, il faut déjà disposer d'une source de lumière.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici de connaissance psychologique. Il s'agit de connaître la véritable nature humaine. Or, toute la spiritualité baha'ie est basée sur ce principe fondamental inlassablement répété: "la nature de l'homme est spirituelle". C'est donc ce fameux "Dépôt divin" qu'il faut apprendre à connaître en soi. Tout l'enjeu est ici de comprendre le sens du mot "spirituel".

Cependant, comme Davudi l'a fait remarquer, l'idée que la connaissance de Dieu soi inséparable de la connaissance de soi implique en elle-même qu'il n'est pas possible à l'homme de parvenir à une connaissance complète et totale de lui-même, pas plus qu'il ne lui est possible de comprendre Dieu dans sa plénitude. (313) C'est parce que notre connaissance de Dieu et de nous-même est impossible que l'univers ne peut être totalement intelligible et conservera toujours un mystère pour l'homme. Mais c'est aussi parce que l'homme ne pourra jamais parvenir à la connaissance totale de lui-même qu'il est possible d'envisager que le progrès de l'âme dure éternellement. Le fondement de toute connaissance est un fondement obscur. L'homme peut s'approcher de ce fondement, mais il ne pourra jamais s'en emparer ni le maîtriser.


VIII.12. L'alchimie de l'Elixir divin

Nul thème n'est plus "théosophique" que celui de l'alchimie et de la transsubstantiation des métaux pris comme symbole de la transformation intérieure de l'homme. Le fait que ce thème apparaisse également dans les Écrits de Baha'u'llah montre le caractère "gnostique" de son enseignement et en constitue une nouvelle preuve du fait que sa pensée doit nécessairement être interprétée dans le cadre d'une vaste philosophie liant les lois spirituelles et psychologiques de la transformation intérieure de l'homme à une philosophie de la nature.

La tradition alchimique apparaît dans les Écrits de Baha'u'llah uniquement comme un thème théosophique, sans liaison avec la démarche pragmatique qui guidait les alchimistes pour qui le Grand Oeuvre se limitait à la transsubstantiation des métaux.

L'histoire de l'alchimie a suivi en terre d'Islam le même parcours que l'enseignement néoplatonicien. Le premier alchimiste connu est Bolos de Mendes qui vivait au IIe siècle av. J.-C. et la tradition rattache son enseignement à Démocrite. Rapidement, l'alchimie va faire jonction avec l'hermétisme dans le cadre de la culture syncrétique alexandrine. Ainsi va se développer un important corpus alchimique d'inspiration hermétique duquel émerge essentiellement le nom de Zozime de Panopolès (circa IIIe-IVe siècle A.D.) qui, le premier, lie étroitement l'acquisition du savoir alchimique à une quête philosophique et mystique, établissant toute une série de concordances symboliques entre les deux processus (314).
L'oeuvre de Zozime va devenir l'oeuvre de base à laquelle se réfèreront tous les alchimistes postérieurs, grecs, puis arabes et persans, enfin européens. L'alchimie est introduite dans la culture musulmane dès le VIIe siècle, et à partir du XIe siècle on commence à traduire en arabe les grandes oeuvres des alchimistes grecs. Cette époque est entièrement dominée par le grand alchimiste Jabir ibn Hayyan, un shi'ite irakien né au début du VIIIe siècle et qui serait devenu le disciple de l'Imam Ja'far as-Sadiq à Médine. Ce que le monde islamique reconnaît comme l'oeuvre de Jabir est en fait un vaste corpus, fruit du travail de toute une école et dont la rédaction ne sera pas définitive avant le Xe siècle lorsque sera établie la fameuse théorie des balances (315).
L'influence de ce corpus sera considérable tant sur le développement de la science musulmane, que sur celui de la mystique. Les idées de Jabir, complétées par Razi et une longue lignée de chercheurs alchimistes, resteront dominantes jusqu'à la fin du XIXe siècle, époque où elles étaient encore enseignées dans les écoles théologiques.

L'alchimie faisait partie de la culture commune et constituait un sujet passionnément débattu. Ceci explique que l'on trouve dans l'oeuvre de Baha'u'llah un certain nombre de passages, à vrai dire peu nombreux, concernant l'alchimie. C'est dans ce contexte que Baha'u'llah est amené à se prononcer sur la nature de l'alchimie.

Trois idées ressortent des Écrits de Baha'u'llah sur ce sujet. Dans un premier temps, Baha'u'llah ne veut pas rejeter entièrement la possibilité de la transsubstantiation des métaux. Il souligne l'unité de la matière composée d'atomes dont les combinaisons déterminent les propriétés des substances. Par exemple, ce que nous percevons comme le cuivre ou le soufre n'est que la propriété d'un certain état de la matière.

La deuxième idée qu'avance Baha'u'llah, c'est que la transsubstantiation des métaux n'est qu'une possibilité théorique qui restera peut-être à jamais hors de portée de l'homme. Ceux qui s'adonnent aux recherches alchimiques perdent leur temps, et ceux qui prétendent avoir accompli le Grand-Oeuvre sont des imposteurs. Baha'u'llah se moque du chef shaykhi Haji Mirza Karim Khan-i-Kirmani (316) qui dans son livre Direction pour les gens du commun (Irshadu'l-'Awwam) (317) prétend qu'il ne faut pas moins d'une vingtaine de sciences pour comprendre l'ascension de Muhammad, dont l'alchimie; lui-même laissant entendre qu'il possède cette science à la perfection et que lui-même a accompli le Grand OEuvre. Baha'u'llah écrit :

"Une science que cet homme prétendait connaître est l'alchimie. Je voudrais qu'un roi ou un homme suffisamment autorisé lui demandât de prouver ses affirmations autrement que par des paroles, par des actes; et moi, pauvre ignorant qui ne prétend pas à un tel savoir, et qui ne juge pas la science d'un homme sur de pareilles connaissances, je mettrais cet homme à l'épreuve et l'on verrait de quel côté se trouve la sagesse." (318)

Mais la troisième idée qui se dégage des Écrits de Baha'u'llah, et qui en cela rejoint Jabir et son école, c'est que l'alchimie a une valeur métaphorique pour décrire la transformation intérieure de l'homme. Il existe sur ce point un passage fondamental dans le Livre de la Certitude qui traite de la transformation spirituelle que connaissent les disciples des prophètes:

Il est évident que rien d'autre que cette transformation mystique ne pouvait être la cause qu'un tel esprit et qu'un tel comportement, si radicalement différent de leur conduite et de leurs habitudes passées, puisse se manifester dans le monde de l'Être. Car leur agitation fut changée en paix, leur doute en certitude, leur timidité en courage. Tel est le pouvoir de l'elixir divin (ikthir-i-ilahi) qui, rapide comme le battement de la paupière, peut accomplir la transmutation de l'âme humaine. Par exemple, considérez la substance du cuivre. Si on l'empêche de se solidifier dans sa mine, dans l'espace de soixante-dix ans, il atteindrait l'état de l'or.
Néanmoins, certains prétendent que le cuivre lui-même est de l'or qui en devenant solidifié est dans un état maladif (marid) et qui ainsi n'a pu atteindre l'état de l'or. Même si tel était le cas, le véritable élixir (ikthir-i-kamil) (319), pourrait, en un instant, faire que la substance du cuivre soit transformée en or, et traverser ainsi en seul instant les étapes que durent soixante-dix ans. Est-il possible que cet or puisse être appelé cuivre? Pourrait-on dire qu'il n'a pas atteint l'état d'or, alors que la pierre de touche permettant de le distinguer du cuivre se trouve à porter de la main."

Il s'agit bien sûr d'une métaphore. Le cuivre, c'est l'homme et les soixante-dix années représentent la durée symbolique de la vie humain. La mine, c'est son corps représentant le monde terrestre. Si l'homme-cuivre ne succombe pas aux attachements de ce monde (la solidification), alors se manifesteront en lui les qualités divines, c'est-à-dire l'or.

"Ainsi, ces âmes, par la puissance de l'élixir divin, traversent le monde de la poussière en l'espace d'un battement de la paupière et rentrent dans le royaume de sainteté; et d'un seul pas parcourent la terre des limitations (makan-i-mahdud) et atteignent le domaine où l'espace n'existe pas (la-makan-i-ilahi) (320). Il t'appartient de faire tout ton possible pour atteindre cet Elixir, qui en l'espace d'un souffle, transforme l'occident de l'ignorance en orient de la connaissance, illumine l'obscurité de la nuit par l'éclat lumineux du matin, guide celui qui s'est égaré dans le désert du doute jusqu'au puits de la présence divine et à la fontaine de la certitude, et confère aux âmes mortelles l'honneur d'être acceptées dans le Ridvan (321) de l'immortalité (322).



Notes

(285) E.E.B.

(286) E.E.B., XXVIII, pp. 61-62.

(287) Baha'u'llah écrit: "Saches du moins, que toute étoile fixe a ses propres planètes et que chaque planète a ses propres créatures, dont le nombre ne peut être évalué". (E.E.B., LXXXII, p. 151.) Il n'est certainement pas nécessaire de souligner qu'à l'époque où Baha'u'llah écrit ces lignes ce point de vue est singulièrement en avance sur son temps, et s'oppose au système ptoléméien alors en cours.

(288) Le principe anthropique part de la constatation que l'existence de l'univers, tel qu'il est, repose sur l'existence d'un certain nombre de constantes physiques fondamentales, extrêmement fines et précises, qui maintiennent l'univers en équilibre. Il suffirait qu'une de ces constantes prenne une valeur un tant soit peu différente pour que l'existence de cet univers devienne impossible et donc son observation également, car nous ne pourrions être là pour le voir. La présence d'observateurs dans l'univers suppose que celui-ci soit compatible avec leur existence. Elle impose a priori un certain nombre de contraintes sur les conditions qui régnaient à son origine au moment de l'apparition de la singularité première.

(289) E.E.B., XC, p. 164.

(290) E.E.B., LXXXIV, p. 154.

(291) E.E.B., XCIII, p. 175.

(292) E.E.B., CXXIV, pp. 243-244

(293) L'expression "Kullu shay" dans le système numérologique de l'abjad (arithmologie), également appelé jafs, a pour valeur 361 qui est le nombre de l'infini parce qu'il est composé de 19 x 19. Le nombre 19 est appelé par le Bab une "unité" (vahid), car dans ce système arithmologique un nombre est toujours réductible à la somme des chiffres qui le composent, seul 9 prend la valeur de zéro, comme dans la preuve par 9. Ainsi 9 est à la fois la plus grande unité qui récapitule en elle tous les chiffres, donc la puissance de l'infini, et le chiffre caché qui s'efface dans la somme arithmologique. 19 est donc égal à 1 (l'unité), car 1+9=1+0=1. 19 est donc égal à l'unité, tout en contenant toute la puissance de l'infini qui lui permet d'engendrer d'autres monades égales à lui-même. La première unité fut celle des Lettres du Vivant (huruf-i-Hayy), constituée par le Bab lui-même et ses dix-huit premiers disciples. Le mot Hayy a pour valeur 18 et le Bab était l'unité qui complétait le Vahid (Unité), donc 18 + 1, ou le "point" qui donne toute sa valeur à la lettre par laquelle débute la première ligne du Coran (le B de Bismi'llah). Cette première Unité constituait "l'Unité évidente" (Vahid-i-mubin) ou l'Unité modèle (Vahid-i-mubayin), on pourrait encore dire "explicatoire", "paradigmatique" ou "archétypale", selon la manière dont on vocalise la graphie MBYN. Cette première Unité, de manière métaphorique, avait pour fonction de transmettre la vie nouvelle à toutes choses en se démultipliant de 19 en 19. Ainsi donc, "le secret" de "toutes choses" est caché dans le premier "vahid", et ce secret n'est rien d'autre que la "Face de Dieu" (wahjuhu) par allusion au verset coranique "tout périra sauf sa face" (Coran, XXVIII., 8.). cf. 'Abbas Amanat, Resurection and Renewal; The making of the babi mouvement, 1844-1850, Ithaca et Londres, 1989, pp. 191-193. L'expression "toutes choses" apparaît dès les premiers versets du Bayan (Bayan I, 1.1.) et revient ensuite un nombre incalculable de fois. cf. l'explication (assez faible) que donne Nicolas dans le premier tome de sa traduction du Bayan pp. 7-9. Le Bayan est lui-même divisé en 19 Unités, chacune subdivisée en 19 chapitres ( bab) à l'exception de la dernière que "Celui que Dieu manifestera" devait compléter, ce qui a été fait par Baha'u'llah avec la révélation du Livre de la Certitude. Tout ceci signifie que la parole divine récapitule de manière symbolique la création tout entière dont elle est la puissance. Rappelons également que l'année baha'ie est composée de 19 mois de 19 jours auxquels s'ajoutent les jours intercalaires au nombre de 4 ou 5 suivant l'année.

(294) Livre de la Certitude, Paris, 4e éd. 1973, trad. H. Dreyfus, p. 12.

(295) Coran, Sourate de la Famille de 'Imran, III, 6.

(296) Majmu'ih, p. 11.

(297) The Book of Certitude, p. 17, Iqan, p. 14. Nous avons utilisé ici la traduction de Dreyfus.

(298) Littéralement: "Ce dernier langage exclut l'exotérique"

(299) Certitude, p. 20.

(300) Le Livre de la Certitude, p. 21.

(301) Ibid. p. 22.

(302) Ibid. p. 23.

(303) Ibid. p. 24.

(304) Ibid. pp. 24-25.

(305) Majmu'ih, p. 12.

(306) Pour le sens technique du mot "théosophie", nous invitons le lecteur à se reporter au remarquable article "Théosophie" de Antoine Faivre dans l'Encyclopedia Universalis, tome XVII, pp. 1118-1120.

(307) E.E.B.

(308) L'arabe tilism, prononcé telesm en persan, vient du grec telesma signifiant "rite". Ce mot fut vraisemblablement transmis au monde musulman par l'intermédiaire des grandes théurgies du IIe et IIIe siècle et peut-être Proclus.

(309) E.E.B. XXVII, p. 62.

(310) Ibid. XC, p. 164.

(311) Ibid. p. 165.

(312) Makatib, tome I.

(313) 'Ali-Murad Davudi, Uluviyyat va Mazhariyyat, p. 88.

(314) cf. A. J. Festugière, La Révélation d'Hermès Trismégiste, tome I, 2e éd., Paris, 1983.

(315) cf. Pierre Lori

(316) Cf. chapitre V notre développement sur le shaykhisme. Karim Khan-i-Kirmani était profondément opposé aux baha'is dont il encouragea la persécution. Il voyagea sur le même bateau que le Bab lorsque celui-ci se rendit à la Mecque et se conduisit envers lui de manière particulièrement offfensante. Il se rendit tellement insupportable envers les passagers que ceux-ci voulurent le jeter à la mer. Ce fut le Bab qui intervint pour le sauver. Son orgueil était légendaire. Par la suite, il consacra beaucoup d'énergie à attaquer Baha'u'llah et son enseignement. Baha'u'llah lui répondit dans la Tablette du Contentement (Lawh-i-Qana'). cf. 'Abdu'l-Hamid Ishraq-Khavari, Aqdah al-Falah, pp. 94-104.

(317) Le mot 'awwam désigne les gens sans instruction et sans distinction sociale. On peut également le traduire par "ignorants". Certains ont voulu faire de Karim Khan-i-Kirmani un précurseur du modernisme parce que dans l'introduction de son livre, il déclare l'avoir écrit non en arabe mais en persan et dans un style simple afin que les gens simples et "même les femmes" puissent le lire. Certains ont cru que Karim Khan se faisait le défenseur de l'éducation populaire et en pariculier de l'éducation de la femme. Il suffit de lire ses écrits pour voir qu'il partage les mêmes préjugés que les intellectuels de son temps partisans de la claustration des femmes. Baha'u'llah est certainement plus "moderne", en interdisant le port du voile, en proscrivant la claustration, en déclarant que l'éducation des filles est plus importante pour l'avenir de l'humanité que celle des garçons, en réclamant une participation égale des femmes dans la gestions des affaires publiques et en leur donnant le droit de vote et l'éligibilité dans les institutions baha'ies.

(318) Livre de la Certitude, trad. H. Dreyfus, 4e éd. , 1973, pp. 104-105.

(319) C'est-a-dire "l'élixir parfait" (kamil). On sait que la Manifestation de Dieu est aussi appelée "l'homme parfait" (insan-i-kamil).

(320) En anglais dans la traduction de Shoghi Effendi: "the domain of the Placeless". Le La-makan est l'Utopos, le Pays du Non-où, le Na-kuja-Abad de Suhrawardi. C'est le monde de l'intuition spirituelle où l'esprit découvre la dimension cachée des choses. C'est la vision du Malakut.

(321) Ridvan est un des noms du paradis. Symboliquement, Baha'u'llah appellera Ridvan le jardin dans lequel il annoncera pour la première fois sa mission avant de quitter Baghdad pour Istanbul.

(322) Nous avons trouvé ici la traduction de Dreyfus trop insuffisante. Pour cette raison, nous avons retraduit les deux dernières citations à partir de la traduction anglaise de Shoghi Effendi en la confrontant à l'original persan. cf. trad. Dreyfus, éd. 1973, pp. 87-88; trad Shoghi Effendi, 5e éd. Wilmette, 1970, pp. 156-158. Le texte persan se trouve dans l'édition du Caire pp. 122-123.

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