Archéologie
du royaume de dieu
Par Jean-Marc Lepain
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Chapitre XVI. Le monde des réalités spirituelles
Quel peut donc être le mode d'existence
des réalités sensibles et peut-on considérer qu'elles sont identiques aux archétypes
du monde imaginal ?
XVI.1. Le commentaire du Trésor caché
Nous ne possédons malheureusement aucun texte développé par Baha'u'llah sur
cette question, mais seulement un faisceau d'allusions dispersées dans toute
son oeuvre. Nous possédons, par contre, un traité de métaphysique rédigé par
'Abdu'l-Baha qui est un ouvrage assez complet.
Ce traité dont nous nous sommes déjà servi dans les premiers chapitres de cet
essai est un commentaire d'une tradition sunnite (hadith qudsi), fort connue
dans l'Islam où Dieu dit au prophète: "J'étais un trésor caché, j'aimais à être
connu et à cette fin, ,je créai la création pour qu'elle me connaisse".
Alors que Baha'u'llah se trouvait à Baghdad, un Pasha versé dans les sciences
mystiques lui demanda de commenter cette tradition. Pour des raisons qui nous
sont inconnues, Baha'u'llah ne voulut pas rédiger ce commentaire et il demanda
à 'Abdu'l-Baha, qui devait avoir à peu près dix-sept ans, de le faire à sa place.
Le commentaire d''Abdu'l-Baha a pris place dans la littérature sous le nom de
Commentaire du Trésor caché, (Tafsir-i Kuntu Kanzan Makhfian) et nous nous y
référerons dans les pages suivantes sous le nom de Tafsir.
Ce commentaire témoigne d'une extraordinaire maîtrise des questions philosophiques
et métaphysiques chez un adolescent de dix-sept ans. 'Abdu'l-Baha s'y montre
familier non seulement avec le langage technique des différentes Écoles philosophiques
et théologiques, mais encore, il déploie une connaissance remarquable de la
vaste diversité de leurs opinions et de leurs théories. Il semble que 'Abdu'l-Baha
ait voulu viser d'abord la concision.
Ce commentaire a donc d'abord un caractère très ramassé et parfois élliptique
qui n'en facilite pas la lecture. 'Abdu'l-Baha n'hésite pas à avoir recours
à des arguments logiques tirés de la scolastique musulmane, comme il le fera
plus tard dans les Leçons de Saint Jean d'Acre. Le commentaire est très charpenté
et suit un ordre rigoureux. On est étonné de l'habileté d''Abdu'l-Baha à résumer
en quelques mots une position philosophique complexe, puis à l'analyser et à
en faire la critique.
Le traité a deux "versants" si on peut dire; l'un tourné vers la pensée néoplatonicienne
et l'autre tourné vers le soufisme. Le néoplatonisme dont il est question n'est
pas celui d'Avicenne, mais une version plus tardive qui semble être celle enseignée
dans les écoles théologiques de l'époque et donc très fortement marquée par
la pensée de Mulla Sadra. Le soufisme auquel 'Abdu'l-Baha fait allusion est
celui d'Ibn-Arabi, et notamment les positions philosophiques qu'il a résumées
dans son livre La sagesse des prophètes (Fusus-al Hikma) .
Cependant 'Abdul-Baha ne nomme aucun auteur bien qu'on trouve quelques citations
textuelles d'Ibn-'Arabi. Les questions sont traitées avec beaucoup de subtilité
et de réserve, sans doute pour ne pas froisser le destinataire du Tafsir qui
devait avoir des positions soufies. Il faut donc parfois faire très attention
à ne pas attribuer à 'Abdu'l-Baha une position qu'il ne fait que citer.
Le Tafsir est écrit dans un langage très technique et probablement intraduisible.
Les spécialistes ont porté beaucoup d'attention à ce texte, mais ils ne sont
pas tous d'accord sur le sens de certains passages. La définition de tous les
termes qu'emploie 'Abdu'l-Baha n'est connue ni avec précision, ni avec certitude.
Tout ce que nous avons déjà dit sur le vocabulaire technique de Baha'u'llah
s'applique également au Tafsir.
Notre but ne sera pas ici de commenter le Tafsir dans son ensemble, mais seulement
d'en extraire les informations se rapportant à la question du déploiement de
l'Être et de l'ontologie des mondes divins. Néanmoins, pour ne pas trop compliquer
les choses, nous nous efforcerons de suivre chaque fois que cela sera possible
l'ordre du texte d''Abdu'l-Baha, qui se divise en quatre chapitres traitant
successivement du Trésor caché, de l'Amour, de la création et de la connaissance.
Le néoplatonisme grec avait posé la question du passage de l'un au multiple.
Il avait résolu le problème comme on l'a vu par les concepts d'émanation et
de procession et supposer l'existence d'hypostases dont le déploiement successif
expliquait le passage de l'intelligible au sensible. Nous avons vu que Baha'u'llah
rejette fondamentalement toute idée d'hypostase et encore plus donc l'idée de
leur procession pour expliquer leur déploiement.
On peut donc penser que si 'Abdu'l-Baha s'appuie en partie sur Ibn-'Arabi, c'est
parce que Ibn-'Arabi a manifesté le même scrupule, ce qui permet à 'Abdu'l-Baha
de se situer dans une perspective différente de l'ontologie d'Avicenne. Cependant,
si on retire du néoplatonisme musulman les concepts d'hypostase et de procession,
se posent deux problèmes fondamentaux. Comment expliquer la relation des réalités
intelligibles avec Dieu, et comment expliquer le passage du monde intelligible
au monde sensible d'un point de vue ontologique ? C'est le problème qui se trouve
au coeur du Tafsir.
XVI.2. La station du trésor caché et
l'Absconditum
Le premier chapitre du Tafsir se penche essentiellement sur le premier aspect
de la question. 'Abdu'l-Baha s'efforce tout d'abord de cerner les rapports existants
entre l'essence divine et ses attributs. C'est ce qu'il appelle "la station
du trésor caché" que nous avons étudiée en détail dans le deuxième chapitre
de cette étude. Nous n'y reviendrons pas, sauf pour apporter quelques nuances.
'Abdu'l-Baha aborde ensuite le problème de la connaissance de Dieu.
Peut-on considérer que cette connaissance est distincte de l'essence divine?
La connaissance divine est-elle un simple attribut de l'essence au même titre
que des attributs telles que la justice et la compassion, ou doit-on considérer
que son existence précède le déploiement des attributs en-dehors de l'essence?
Si on considère la connaissance divine comme une réalité indépendante, peut-on
alors dire que les entités ontologiques de la scolastique musulmane comme les
archétypes (a'yan), les quiddités (mahiyyat), les réalités spirituelles (haqa'iq),
et les formes eidétiques (qabiliyyat) ont une existence dans la connaissance
de Dieu?
Toutes ces questions sont des questions qui ont posé problème dès le début de
l'Islam. On se souvient que déjà, le kalam (scolastique) mu'tazilite avait considéré
que les conditions de l'unicité de Dieu impliquaient que les attributs de Dieu
soient identiques à son essence et n'aient pas d'existence réelle. Les Jahmistes
iront encore plus loin en niant purement et simplement l'existence de tels attributs.
Une telle prise de position influençait la façon dont on pouvait aborder le
problème de l'existence d'un Dieu distinct du monde.
Les mu'tazilites en ont déduit que la connaissance que Dieu a du monde est une
connaissance nouvelle (hadith), c'est-à-dire postérieure à la création. Louis
Gardet explique : "Les mu'tazilites se demanderont si la connaissance que Dieu
a des choses les précède dans l'existence ou naît avec elles, et concluront
dans l'ensemble à une science divine "contingente" ou "créée" des futurs libres
et des possibles en général ". (445) On
voit que sur le point des attributs divins, les positions d''Abdu'l-Baha sont
très proches des mu'tazilites, mais s'en écartent totalement sur le point de
la connaissance de Dieu.
Les questions qu'ont soulevées les mu'tazilites devinrent par la suite la pierre
de touche de la philosophie musulmane et, jusqu'à Ghazali, toutes les écoles
se sont définies par rapport à elles; ce qui signifie essentiellement qu'elles
les ont critiquées ou ont cherché à y introduire des nuances. Tout l'effort
d''Abdu'l-Baha va donc consister à se dégager de cette scolastique.
La critique la plus radicale du mu'tazilisme va venir des Ash'arites, qui lui
reprochent de conduire à "un dépouillement total de la notion de Dieu" (446).
Ils s'efforcent d'assouplir la doctrine des mu'tazilites sur l'existence des
attributs de Dieu, en affirmant d'une part leur existence, tout en affirmant
d'autre part l'incompatibilité de leur existence avec l'existence de Dieu. (447)
Leur effort va donc consister à définir la voie étroite entre ces deux points.
Cela les conduira à rejeter le néoplatonisme hellénistique, mais à en accepter
une version modérée, inspirée, selon certains auteurs, de la théologie chrétienne.
Ces emprunts portent notamment sur la notion d'hypostase (qudama) (448),
qu'ils adaptent à la théologie musulmane. C'est un des points qu''Abdu'l-Baha
réfute avec insistance dans le Tafsir. Finalement, les ash'arites concluront
que le savoir de Dieu est coéternel à son essence. Nous procédons à ces rappels,
uniquement pour montrer que les problèmes évoqués par 'Abdu'l-Baha se trouvent
au coeur de la théologie musulmane et qu'il peut être utile pour bien suivre
le développement de la pensée de l'auteur de la resituer dans le cadre de ces
débats théologiques qui étaient présents à l'esprit de son interlocuteur.
Cependant, 'Abdu'l-Baha va trancher ces questions avec beaucoup de subtilité
et ne porte ni vive attaque contre une thèse, ni adhésion totale à une autre.
Pour 'Abdu'l-Baha, ces questions de théologie se ramènent essentiellement à
des questions de langage. Or, le monde du Hahut, le Trésor caché, est au-delà
des mots et des nombres. (449) Par conséquent,
dissocier Dieu de sa connaissance est uniquement un problème de langage et il
ne sert à rien d'ergoter à l'infini sur des problèmes qui naissent de la nécessité
de raisonner par analogie et par métaphore (tamthil et tamsil).
'Abdu'l-Baha déclare donc que la seule façon de progresser dans la compréhension
de tels problèmes, c'est de se détacher des limitations de l'analogie et de
la métaphore, (450) qui sont malheureusement
nécessaires pour parler des réalités intelligibles. En quelque sorte, il veut
probablement dire que la raison discursive ne peut à elle seule parvenir à l'entendement
de ces phénomènes qui nécessitent d'avoir recours à l'intuition.
XVI.3. Le miroir de la science divine
Après avoir rappelé les limitations du langage, 'Abdu'l-Baha conclut que la
distinction d'une science divine est une question purement conceptuelle et que
par conséquent cette science ne peut exister que de manière spéculaire dans
la conscience de Dieu. On ne peut donc faire aucune distinction entre l'essence
de Dieu et sa science. Comme on le voit, c'est une manière assez radicale de
trancher près de dix siècles de débat.
Ce premier point étant acquis, 'Abdu'l-Baha passe au second qui concerne le
mode d'existence des archétypes, des quiddités, des réalités, des potentialités
et autres entités scolastiques, pour conclure que celles-ci ne peuvent qu'être
"éloignées" (ba'id) de la science divine, autrement dit qu'elles ne peuvent
exister sous cettte forme dans la sphère ontologique du Trésor caché (451).
Comme on le voit, il s'agit là d'une autre conclusion radicale.
Avant de parvenir à ces conclusions, 'Abdu'l-Baha suit un raisonnement très
rigoureux. Il commence par rappeler les positions des soufis, c'est-à-dire en
fait d'Ibn 'Arabi. Pour les soufis, l'essence non manifestée (ghayb-i-huviyyih)
considérée dans la station d'unicité (ahadiyyat) est sans noms et attributs.
On peut dire également que les noms et les attributs sont dans cette station,
confondus avec l'essence divine, sans qu'on puisse faire la moindre distinction
entre eux-mêmes, ou entre eux et l'essence.
S'il en est ainsi, pour les noms et les attributs, ajoute 'Abdu'l-Baha, alors
a fortiori pour les réalités spirituelles potentielles (haqa'iq-i shu'unat-i
ilahiyyih) (452). Les archétypes (a'yan),
les réalités spirituelles (haqa'iq) et la quiddité des choses (mahiyyat-i ashya)
ne peuvent qu'exister en union avec l'essence et à l'intérieur de celle-ci,
car autrement cela serait la négation de la station d'unicité.
Ces entités sont contenues dans l'essence comme les lettres de l'alphabet sont
contenues dans le point, ou comme tous les chiffres et les nombres sont contenus
dans l'Un. Ces réalités intelligibles ne peuvent exister dans l'essence que
sous cette forme potentielle qu'on appelle "distinctions potentielles" (shu'unat-i-dhatiyyih)
ou "raisons séminales" dont on ne trouve pas même trace. Dans cette seconde
partie de l'exposé, 'Abdu'l-Baha prend clairement position. Puis, il revient
à l'exposé des conceptions d'Ibn 'Arabi.
Cet exposé intègre de nombreux éléments néoplatoniciens. Au sommet, se trouve
l'Essence non manifestée de Dieu (ghayb-i-huviyyih). Dans l'essence se produit
un double mouvement. Le premier est un mouvement d'amour, le second est un mouvement
de désir. Le mouvement d'amour correspond à la projection de la lumière divine
(jala). Cette projection est la manifestation (zuhur) de la réalité divine (haqq)
sous la forme des archétypes (a'yan).
Le mouvement de désir correspond à la réflexion (istijla) qui est le retour
de la lumière vers la source, c'est-à-dire l'émanation (tajalli) de la beauté
(kamal) divine dans le miroir des réalités spirituelles (haqa'iq) et des archétypes
(a'yan) (453). L'existence des réalités
spirituelles et des archétypes proviendrait de l'Émanation la plus sainte (Fayd-i-aqdas)
qui ferait passer ces entités de la station de l'essence à la station de l'existence
dans la science divine. Cette existence des archétypes éternels serait une existence
purement intelligible, mais néanmoins suffisante pour permettre à chaque archétype
de se différencier dans le miroir de la science divine.
Ce processus permettrait de distinguer deux états du Trésot caché, ou autrement
dit deux, états de l'Essence divine, correspondant en réalité à deux perceptions
différentes de l'homme: le Trésor caché avant la manifestation de la connaissance
divine et le Trésor caché après, c'est-à-dire cet état que certains décrivent
comme "la première manifestation" ou "le deuxième invisible" (ghayb- i thani)
(454).
'Abdu'l-Baha se garde de réfuter cet exposé. Il le considère comme une description
valide de la réalité à condition d'y introduire un certain nombre de nuances
qui conduisent à la conclusion que nous avons déjà exposée. On ne peut introduire
dans l'Essence divine aucune distinction. Si donc on dit que les archétypes
existent dans l'essence, il ne peut s'agir d'une existence réelle, pas plus
qu'on ne peut dire que deux ou trois "existent" dans l'un. Ensuite, il faut
se garder d'introduire dans l'Essence divine aucun élément qui serait co-éternel
à Dieu. On ne peut donc dire que les archétypes aient toujours existé en Dieu,
car cela serait revenir à la théorie des hypostases (qudama). Il faut donc admettre
que les archétypes sont créés (hadith), et s'ils sont créés, ils ne peuvent
appartenir à la sphère ontologique de l'essence.
Tous les raisonnements aboutissent à une impossibilité de langage. D'un côté,
l'enchaînement des propositions conduit à admettre que les archétypes ont toujours
existé dans le miroir de la science de Dieu, puisque la connaissance est un
des attributs éternels (qadim) de Dieu. De plus, il n'est pas possible de concevoir
une connaissance sans un objet de connaissance (ma'lumat) (455).
D'un autre côté, affirmer que les archétypes existent en Dieu, c'est affirmer
que l'essence divine devient le lieu d'accident (hawadith), ce qui est également
impossible. Nous aboutissons donc à des exigences contradictoires. Si le problème
n'est pas soluble de cette façon, il faut donc conclure qu'il a été mal posé.
C'est ce que 'Abdu'l-Baha s'efforce, avec beaucoup de prévenance et de subtilité,
de faire comprendre à son interlocuteur.
Car pour le moment, 'Abdu'l-Baha n'a encore rien démontré. Mais il fait table
rase du passé, et surtout, il a établi les limites du langage, des méthodes
scolastiques et de la logique formelle pour résoudre de tels problèmes. Il a
préparé son lecteur à accepter des conclusions qui sortent de tous les cadres
de la pensée traditionnelle.
XVI.4. L'amour comme manifestation de
l'essence divine
La façon dont les Écrits baha'is abordent le passage du monde de l'essence divine
au monde intelligible est essentiellement apophatique. On peut dire que le processus
n'est pas, mais il est difficile de dire qu'il est. En de multiples endroits,
Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha affirment qu'à l'origine du monde se trouve un mystère
insondable que l'homme jamais ne pénétrera.
La doctrine d'Ibn 'Arabi a un aspect intéressant en ce qu'elle superpose certains
éléments néoplatoniciens à des éléments chrétiens. Nous avons déjà vu dans les
chapitres précédents que, chez Plotin, l'émanation naissait du désir que l'on
aurait de contempler sa propre essence. On retrouve bien chez Ibn Arabi et le
désir et la contemplation. Mais au mouvement du désir, il superpose le mouvement
de l'amour, ce qui est une adaptation spécifiquement chrétienne des thèses néoplatoniciennes.
Pour Plotin, le mouvement du désir est circulaire à l'intérieur de l'Un, afin
de préserver l'Un de tout contact avec une entité extérieure. Pour les Chrétiens,
cette thèse n'est pas acceptable, car elle posait un Dieu totalement extérieur
à la création. En remplaçant le désir plotinien par l'amour chrétien, ils vont
rendre Dieu pleinement responsable de sa création. Il est intéressant de voir
Ibn' Arabi rechercher une synthèse de ses deux visions. Cette synthèse n'aboutit
pas parce qu'elle mène aux contradictions mises en évidence par 'Abdu'l-Baha.
Ce sont ces deux contradictions qui vont être résolues dans le second chapitre
du Tafsir consacré à l'amour.
Ce chapitre sur l'Amour est un chapitre essentiellement mystique qui expose,
en particulier, comment l'homme peut être intérieurement transformé par l'amour
divin. Cet aspect du chapitre est tout à fait en dehors du champ de notre étude,
aussi nous n'en parlerons pas. Nous ne parlerons pas non plus des différents
aspects, ou "stations" de l'Amour que distingue 'Abdu'l-Baha, sauf pour dire
qu'il ne fait qu'exposer des thèses très classiques du mysticisme musulman qui
distingue quatre aspects dans l'amour : l'amour de l'essence divine pour l'essence
divine (az jam' bi-jam'), l'amour de l'essence divine pour les créatures (az
jam' bi-tafsil), l'amour des créatures pour les créatures (az tafsil bi-tafsil),
l'amour des créatures pour l'essence divine (az tafsil bi-jam').
Ce thème est également très brièvement traité par Baha'u'llah dans les Sept
Vallées. A cet exposé classique, qui n'est qu'un rappel, 'Abdu'l-Baha ajoute
un complément qui est l'amour que l'homme porte à la Beauté qui est à l'intérieur
de lui-même. 'Abdu'l-Baha se sert de ce thème pour saper le monisme absolu de
Ibn ´Arabi et d'une partie des soufis; monisme qui tendait à une forme de panthéisme
mitigé. 'Abdu'l-Baha défend ce qu'il appelle "l'unité d'expérience" (tawhid-i-shuhudi)
(456) qui est une unité d'"état" entre
Dieu et l'homme et non une unité d'essence.
Deux aspects de ce chapitre peuvent néanmoins retenir notre attention pour expliquer
le déploiement de l'être et le mode d'existence des réalités spirituelles. Le
premier aspect, c'est le rôle qu''Abdu'l-Baha fixe à l'amour comme principe
organisateur du cosmos. Il s'agit d'un thème bien connu des Écrits baha'is,
et ce que dit 'Abdu'l-Baha est susceptible d'être étayé et corroboré par beaucoup
d'autres textes. Aussi, traiterons nous de la question d'un point de vue général
sans nous attacher à suivre pas à pas l'exposé. L'autre aspect concerne des
indications relativement isolées et dispersées à l'intérieur du texte sur les
réalités spirituelles et les entités scolastiques. (457)
XVI.5. L'Amour, principe organisateur
du cosmos
Une fois de plus, 'Abdu'l-Baha commence par insister sur le problème du langage.
L'amour est une réalité intelligible, elle se trouve donc "au-delà du langage"
(fawq-i 'alam-i ahsa va bayan) (458).
Distinguer quatre ou cinq "stations" dans l'amour procède d'un pur jeu de l'esprit.
On peut tout aussi bien dire que les stations de l'amour sont en nombre infini,
ou considéré, d'un autre point de vue, que le rang de l'amour est la pure unité
(vahdat) (459).
L'amour n'est pas un simple attribut de Dieu mais constitue sa nature propre.
De ce fait, l'Amour de Dieu ne peut pas être distingué de son essence. Le problème
de l'amour et des liens avec l'essence divine est en quelque sorte identique
au problème de la connaissance qu''Abdu'l-Baha a abordé au chapitre précédent.
Cela n'est pas pour nous surprendre, puisque Baha'u'llah a expliqué dans les
Sept Vallées qu'une fois dépassé "le monde des limitations", l'amour et la connaissance
n'apparaissent plus que comme les deux forces d'un même phénomène et que leur
dualité est appelée à être transcendée dans la vision de l'unité.
Concernant cette identité entre l'amour et l'essence divine, 'Abdu'l-Baha affirme
que la manifestation de l'amour dans l'essence divine est antérieure au reflet
des "distinctions essentielles" (shu'unat-i-dhatiyyih), qui sont les attributs
lorsqu'ils sont invisibles à l'état de potentiels dans l'essence dans le miroir
des archétypes. (460) Ce qui signifie
que, ontologiquement, la manifestation de l'amour précède le déploiement des
attributs divins.
Ailleurs, 'Abdu'l-Baha emploie le mot d'émanation (faid et tajaliyyat) à propos
de l'amour (461). On pourrait donc comprendre
que l'amour n'est qu'un aspect du Verbe divin, c'est-à-dire de l'Esprit-saint.
Il en ressort donc que l'amour est un principe unique qui est à la base de la
création, car c'est parce qu'il voulait être aimé et connu que Dieu a créé le
monde. En outre, on peut affirmer que l'amour est le principe organisateur et
structurant du cosmos. Toutes les relations entre les éléments et ultimement
les lois de l'univers, peuvent être interprétées comme une manifestation de
la loi fondamentale unique qui est l'amour universel. 'Abdu'l-Baha dit, en l'occurence,
que la force qui maintient ensemble les particules d'un atome, ou la force de
gravité qui attire les objets vers le centre de la terre, ne sont rien d'autre
que des manifestations de cette loi universelle.
Ceci amène 'Abdu'l-Baha à définir l'amour en termes non psychologiques. L'Amour
est autre chose qu'une simple dilatation du coeur. L'amour est l'effet qui résulte
de la force d'attraction entre les choses. 'Abdu'l-Baha emploie le mot "magnétisme"
(magnatis) pour le décrire (462). Ce magnétisme
est le fruit de la Beauté (jamal) divine qui est en même temps la perfection
(kamal) (463). Le principe du monde est
que toute chose doit tendre vers la perfection et toutes choses aspirent à la
Beauté. Dieu est la Beauté suprême; c'est pour cette raison que toute chose
à la surface de la terre est attirée vers le centre de la planète par la loi
de gravité. L'amour est donc bien le principe organisateur de l'univers. (464)
Du même coup, la dualité née du double mouvement de l'amour et du désir des
théories d'Ibn 'Arabi disparaît. L'Amour ramène toute chose à l'unité. 'Abdu'l-Baha
parle d'un "magnétisme d'unicité" (maghnatis-i-ahadiyyih) (465).
L'Amour que Dieu a pour sa propre beauté est la source de toutes les autres
formes de l'amour (466). L'essence de
l'amour est une. La différence entre l'Amour de Dieu et les autres formes d'amour
est que celui-là n'a pas besoin d'un lieu (majali) ou du miroir des créatures
contingentes (ka'inat) pour se manifester. (467).
XVI.6. Le mode d'existence des essences
et leur caractère spéculaire
Pour préciser le mode d'existence des entités scolastiques, il nous faut revenir
dans le cadre de la théologie spéculaire que nous avons évoquée dans les chapitres
précédents. 'Abdu'l-Baha indique qu'une des voies pour aborder ce problème consiste
à considérer que l'essence de Dieu est un miroir pour lui-même et que ce miroir
représente la connaissance divine en tant que raison séminale des choses (shu'uanat-i-dhatiyyih).
Cette connaissance divine se reflète à son tour dans le miroir des archétypes
(a'yan) (468).
Ceci est une manière très élégante de résoudre le problème de la connaissance
divine qui avait tant troublé les philosophes musulmans. Dans ce contexte, on
peut comprendre la connaissance divine comme une simple perspective humaine,
une expression métaphorique, un problème du langage et de l'entendement humain
condamné par son propre mode de fonctionnement à établir ce genre de distinction.
Cependant, ce qui se reflète dans les archétypes ce n'est pas l'essence de Dieu,
mais bien sa connaissance, c'est-à-dire l'image qui existe dans le miroir de
lui-même.
En suivant 'Abdu'l-Baha, le lien qui unit les "distinctions" et les "archétypes"
est un lien spéculaire de lumière; la lumière étant l'expression métaphorique
de la capacité de la connaissance divine de se projeter dans les choses. Et
il ajoute que cette lumière n'est autre que la manifestation de l'Amour, c'est-à-dire
du Verbe divin, de l'Esprit-saint. Nous retrouvons encore une fois cette équation
qui dans toute la métaphysique de Baha'u'llah pose une égalité fondamentale
entre l'Amour et la Connaissance de Dieu, et qui implique qu'en l'homme l'amour
et la connaissance doivent s'unifier pour parvenir à la véritable connaissance
que l'on trouve dans ce que Baha'u'llah appelle la "Vallée de l'Unité".
Au-dessous de ces archétypes (a'yan) se trouvent d'autres entités qui sont les
quiddités (mahiyyat) (469) et les réalités
spirituelles (haqa'iq). 'Abdu'l-Baha évoque peu le problème des quiddités et
on peut sentir qu'il ressent ces distinctions artificielles comme un pesant
héritage de la scolastique dont il souhaiterait se dégager. La encore, il résoud
le problème avec beaucoup d'élégance.
Les quiddités font partie de ces réalités intelligibles qui n'ont qu'une existence
dans l'esprit humain, comme les entités mathématiques dont nous parlions au
début de ce chapitre, si du moins nous nous tenons au sens du mot tel que le
définit la scolastique. Mais ce mot prend dans les Écrits de Baha'u'llah des
acceptations multiples qui ne reflètent pas les usages de la scolastique aristotélicienne.
Il arrive qu'Abdu'l-Baha parle des quiddités comme d'une catégorie intermédiaire
entre les archétypes (a'yan), qui ne seraient qu'un aspect des attributs divins
considérés dans la sphère du Lahut, et les réalités spirituelles qui appartiennent
à la sphère du Malakut. 'Abdu'l-Baha parle donc des quiddités en association
avec le Jabarut (470), ce qui n'a plus
rien à voir avec le sens philosophique originel du mot.
À notre avis, la distinction entre l'essence et la quiddité des choses ne joue
aucun rôle dans la métaphysique de Baha'u'llah. Il s'agit d'un terme emprunté
à la philosophie péripatéticienne qu'Abdu'l-Baha utilise ici, dans un sens infléchi
par Avicenne et Ibn 'Arabi, simplement pour respecter le vocabulaire en usage
dans les écoles théologiques. En aucun cas, il ne faudrait considérer ces quiddités
comme ayant une existence distincte et séparable de la réalité des choses.
Pour reprendre le fil du Tafsir, ce qui distingue les archétypes (a'yan) des
réalités spirituelles (haqa'iq), c'est que les réalités spirituelles n'existent
qu'en association avec une réalité contingente. A chaque créature contingente
est associée une réalité spirituelle qui constitue en fait sa nature la plus
profonde (471). La réalité spirituelle
de l'homme, par exemple est symbolisée par son coeur.
Les réalités spirituelles, sont des entités spéculaires qui disposent de la
capacité d'être illuminées par l'amour divin. C'est sur la réalité spirituelle
de l'homme, réalité qui demeure dans le Malakut, que s'exerce le pouvoir magnétique
d'attraction de l'amour divin (472).
XVI.7. La question de l'adventicité
des réalités essentielles
La suite du Tafsir n'apporte que peu d'informations supplémentaires. Le troisième
chapitre porte sur la création, mais dans les faits, il aborde la question des
fondements d'une théorie noétique spirituelle. Le dernier chapitre intitulé
"De la connaissance" conclut que puisque la connaissance de l'essence divine
est impossible, alors l'homme ne peut connaître la divinité qu'à travers la
révélation divine (473).
Le chapitre sur la création part de la question de savoir si les entités scolastiques
sont éternelles ou si elles ont été créées. Mais 'Abdu'l-Baha se refuse à trancher
la question et déclare que répondre par oui ou par non n'est qu'une question
de point de vue. Il s'agit d'une question purement formelle qui dépend essentiellement
de la perspective dans laquelle on se place et qui, de toute façon, ne peut
être résolue par la dialectique (474).
Ici, 'Abdu'l-Baha reste fidèle au principe énoncé par Baha'u'llah dans les Sept
Vallées selon lequel les différences que le voyageur perçoit entre les mondes
divins tiennent à la condition du voyageur et non à ces mondes (principe phénoménologique).
Par conséquent, les contradictions qu'on note entre les déclarations des saints
mystiques (awlya) tiennent aux différences qui naissent entre les différents
attributs divins lorsqu'ils se reflètent en eux (475)
.
Cependant, avant de parvenir à cette conclusion, 'Abdu'l-Baha passe en revue
les arguments des différentes écoles concernant le caractère créé ou non des
réalités scolastiques (thèse de l'adventicité). Probablement, n'était-il pas
convaincu de la pertinence de la question, mais avant d'arriver à sa conclusion
très relativiste, il montre qu'il a une connaissance parfaite des arguments
des différentes écoles. Nous ne suivons pas 'Abdu'l-Baha sur ce terrain, et
nous nous contentons de résumer l'essentiel de l'argumentation.
'Abdu'l-Baha commence par les arguments de ceux qui croient à l'éternité des
entités scolastiques, c'est-à-dire essentiellement al-Farabi et Avicenne. Ceux-ci
avancent deux arguments. Le premier, c'est qu'une connaissance sans objet de
connaissance est impossible. Or, la connaissance est un attribut de Dieu. Par
conséquent les réalités qui se reflètent dans le miroir de la science divine
sont éternelles, comme est éternelle la connaissance divine; sinon il y aurait
eu un moment où la connaissance de Dieu n'aurait pu être parfaite (476).
Le deuxième argument est tiré de la doctrine mutazilite sur le libre arbitre
et la justice de Dieu. Si Dieu est juste, l'univers n'est gouverné par aucun
déterminisme et le choix entre le bien et le mal existe. Par conséquent, Dieu
a créé toutes les réalités avec des potentialités égales, sans aucun déterminisme
(ijbar) préétabli, ni force compulsive (ikrah) (477).
Or, puisqu'on constate que les réalités occupent des rangs différents, ou bien
cette différence s'expliquerait par un déterminisme ou une force compulsive,
ce qui vient d'être exclu, ou bien, elle s'explique par le fait que les réalités
n'ont pas été créées égales, ce qui a également été exclu. Par conséquent, conclut
'Abdu'l-Baha, on doit en déduire que c'est l'idée de création de ces réalités
qui est contraire à la justice de Dieu et à la liberté de la création.
Ce genre de problème peut sembler aujourd'hui complètement dépassé. Mais nous
ne devons pas oublier que nous touchons là aux thèses et à la problématique
qui constituent les fondements de la philosophie musulmane classique. Leur remise
en cause constitue donc une étape importante dans la constitution d'une philosophie
baha'ie autonome.
'Abdu'l-Baha rejoint tout à fait la philosophie moderne lorsqu'il exprime ses
doutes sur la possibilité de trouver des réponses satisfaisantes à de tels problèmes
par la seule ressource de la logique. Nous ne devons pas oublier que la philosophie
musulmane classique accordait une confiance absolue au raisonnement logique
pour résoudre les questions métaphysiques.
'Abdu'l-Baha, en s'appuyant sur la circularité des raisonnements scolastiques,
va essayer de démontrer que le problème philosophique réside moins dans les
méthodes logiques qui sont utilisées que dans la façon dont on pose le problème.
Or, tout problème posé par rapport à l'essence de Dieu ne peut appeler qu'une
réponse relative. Le théorème de Gödel ne dit pas autre chose.
Si on pose Dieu comme un absolu, il faudrait que les règles de la logique soient
définies par rapport à une rationalité fondée sur un absolu plus grand, capable
de comprendre en lui-même la réalité de Dieu, si on veut que celles-ci puissent
nous apprendre quoi que ce soit sur la réalité divine. Cette approche explique
la méthode d'Abdu'l-Baha qui va consister à démontrer que les deux thèses opposées
sont fondées sur des raisonnements logiques aussi valables l'un que l'autre.
C'est ainsi qu'Abdu'l-Baha passe à l'examen de la thèse adventiste qui affirme
que les entités scolastiques ont été créées. Et il démontre avec le même aplomb
les thèses contraires à celles précédemment exposées. Il avance quatre arguments,
que nous ne détaillerons pas. Ces arguments sont fondés sur le postulat que
la connaissance divine ne repose pas sur un objet (ma'lumat) (478).
Nous reconnaissons ici la thèse d'Ibn 'Arabi.
Pour démontrer cette thèse, 'Abdu'l-Baha utilise deux arguments qui devaient
lui être personnels puisqu'on les retrouve ailleurs, soit dans le Tafsir, soit
dans d'autres oeuvres. Le premier argument c'est celui de l'unicité des attributs.
Il n'y a pas d'essence sans connaissance, et pas de connaissance indépendamment
de l'essence, par conséquent, associer à la connaissance un objet de connaissance
co-éternel c'est revenir à la thèse des hypostases (qudama). L'autre argument
tient encore une fois au langage.
Parler de la "connaissance" de Dieu est un usage purement métaphorique du mot
"connaissance". L'essence divine à laquelle s'identifie la connaissance est
bien au-delà du langage et de la compréhension humaine. Parler de "connaissance"
de Dieu suppose qu'il existe au moins un rapport de similarité entre cette "connaissance"
et le processus de la connaissance humaine, ce qui n'est pas le cas ici.
Dans le monde de la contingence, on ne conçoit pas une connaissance sans un
objet de connaissance, mais dans le monde de la transcendance, la connaissance
divine est libérée de telles limitations.
Le caractère spéculaire de la connaissance de Dieu conçue comme un miroir de
l'essence divine exclut tout rapport entre cette connaissance et un objet extérieur
de cette connaissance. L'homme ne peut pas se représenter la connaissance de
Dieu. Il ne peut même pas s'en faire une idée, car connaître ou imaginer la
connaissance de Dieu reviendrait à connaître son essence.
Nous dirions que la connaissance est inhérente à l'Esprit anthropique, elle
en constitue une particularité. Mais comme elle unit l'homme à Dieu, on l'attribue
aussi à Dieu car il faut bien supposer quelque chose de commun entre la créature
et son créateur, même s'il s'agit d'un lien lointain et essentiellement homologique.
Autrement dit, nous prêtons à Dieu la connaissance, car autrement c'est nous
qui ne pourrions pas le connaître.
A la suite des preuves sur l'adventicité (hadith) des entités scolastiques.
'Abdu'l-Baha reprend les thèses d'Aristote sur la forme et la matière. Bien
sûr, il s'agit des thèses d'Aristote telles que les connaissait la philosophie
classique musulmane, c'est-à-dire revue par Farabi et Avicenne. 'Abdu'l-Baha,
prudemment ne nomme personne, se retranchant derrière un pluriel impersonnel
pour rapporter ces positions.
L'argument vise essentiellement à démontrer que la forme et la substance ont
été créées en même temps (479). Cet argument
est important car il montre que dans la pensée d''Abdu'l-Baha, les réalités
intelligibles n'ont pas d'existence indépendante des réalités sensibles. Distinguer
la forme de la substance ne peut avoir un intérêt ontologique qu'à condition
que l'une et l'autre puissent exister indépendamment. En ce sens, la pensée
d'Abdu'l-Baha va bien au-delà de celle d'Aristote et d'Avicenne.
Deux théories d'Aristote interviennent ici: d'une part la théorie de l'être
en puissance et de l'être en acte, et d'autre part la théorie de la forme et
de la matière. L'élaboration de ces idées s'est faite essentiellement en réaction
aux thèses de Platon sur le monde des Idées. Aristote veut ici montrer que les
essences des choses, qu'il appelle "quiddités", ne sont pas des substances éternelles
et qu'on ne peut pas fonder l'existence de l'être particulier sur le principe
de la division qui fait remonter chaque être à une espèce et à un genre qui
lui auraient pré-existé. Aristote considère que l'essence (ousia) est l'être
véritable; c'est elle le principe premier sans qu'il n'y ait rien au-dessus
d'elle.
Aristote considère que l'Être peut se manifester selon deux modes; soit l'Être
existe en puissance, soit l'Être existe en acte. Par exemple, la statue existe
en puissance dans le bloc de marbre. L'acte est l'oeuvre ou la fonction qui
fait passer l'Être en puissance à la forme achevée (entéléchie). Le passage
de l'Être en puissance à l'Être en acte se fait par l'union d'une forme à être
un en puissance, qui est ce qu'Aristote appelle la matière (hylée; en arabe
hayula).
'Abdu'l-Baha applique ici la théorie de l'Être en puissance (ayniyyat) et de
l'Être en acte (fa'aliyyat) à la connaissance divine et il fait remarquer que
cela explique la différence de point de vue entre ceux qui disent que la connaissance
est identique à l'essence, car ceux-ci parlent de la connaissance en puissance,
et ceux qui parlent de la connaissance dans son lien d'interdépendance avec
l'objet de connaissance, car ceux-là parlent de la connaissance en acte. (480)
Si 'Abdu'l-Baha paraît reprendre à son compte cette distinction, il attribue
le reste du développement sur la forme et la substance à un "il" impersonnel
dont il est difficile de préciser l'identité véritable. Les idées qui sont ici
exposées sont en apparence une des multiples versions de la théorie péripatéticienne
de la forme et de la substance, mais il s'agit d'un péripatétisme adapté et
révisé en fonction d'éléments platoniciens.
Le développement ne vise apparemment pas Avicenne, puisque Avicenne croyait
à l'éternité des formes et des quiddités, alors qu'il est affirmé ici que l'École
dont il est question défend une position adventiste. Il ne peut pas s'agir non
plus d'Ibn 'Arabi, car les termes techniques employés le sont dans un contexte
qui se situe à l'opposé des définitions que donne Ibn 'Arabi.
'Abdu'l-Baha oppose le mot qabil, que nous avons jusqu'ici traduit par "forme
" à maqbul qui désigne "ce qui reçoit la forme". Qabil est donc le principe
actif et maqbul le principe passif. On traduit alors le premier terme par le
mot "réceptacle", car le Qabil est ce qui reçoit l'effusion divine. (481)
Pour Ibn 'Arabi, Dieu a créé le monde d'abord comme une substance sans forme
(musawwi), c'est-à-dire ne portant aucune détermination qualitative. A ce stade,
le monde était comme un miroir qui n'aurait pas été poli. Cette substance primordiale
est le qabil qui a été créé par l'Émanation sainte (al-fayd al-aqdas) qui transmet
avec elle les archétypes éternels (al-a'yan al-thabita). (482)
Si donc le développement ne vise ni Avicenne ni Ibn 'Arabi, il appartiendra
à de futurs auteurs d'identifier l'école ici visée. Il s'agit peut-être d'un
philosophe de l'École d'Isfahan dont il faudra préciser le nom. On ne peut non
plus exclure qu''Abdu'l-Baha ait procédé à des révisions de vocabulaire. Ceci
montre qu'il sera un jour nécessaire de procéder à une comparaison systématique
de la pensée de Baha'u'llah et d''Abdu'l-Baha avec celle de philosophes tels
que 'Ibn 'Arabi, Mulla Sadra et Shaykh Ahmad Ahsa'i pour résoudre nombre de
problèmes qui subsistent encore dans notre compréhension des Écrits baha'is.
Selon les tenants de cette école à l'identité imprécise, les formes eidétiques
(qabiliyyat) et les substances réceptrices (maqbulat) ont été créées simultanément.
Car toutes choses se composent d'une forme (qabil) et d'une substance réceptrice
(maqbul) (483) qui n'est autre que la
matière commune (maddih) ou la substance promordiale (hayula). Le qabil peut
alors être identifié avec les images (surat) et les formes éternelles (hay'at).
(484)
Jusqu'ici, le texte est très proche d'Aristote, et on y discerne que peu d'influence
platonicienne, ce qui rapproche ce passage des commentaires d'Averroès.
Puis, 'Abdu'l-Baha introduit une distinction entre la forme particulière (hay'at-i-makhsusih)
et la substance particulière (maddiy-i-makhsusih), qu'il oppose à la substance
générale (maddiy-i-kulliyyih). Si, par exemple, avec une plume et de l'encre,
on trace une lettre, cette lettre se compose sur le papier d'une forme qui lui
est propre et particulière, et d'une substance, l'encre, qui lui est également
propre et particulière.
Cependant, si nous reconnaissons la lettre et que nous sommes capables de la
lire, c'est parce que nous rapprochons la forme particulière, de la forme générale
qui est contenue dans l'alphabet. La forme générale préexistait donc dans l'alphabet,
comme la substance, c'est-à-dire l'encre, préexistait dans l'encrier.
'Abdu'l-Baha reprend alors le même argument de l'être en puissance et de l'être
en acte qu'il avait appliqué à la connaissance de Dieu. Lorsque la plume trace
la lettre sur le papier, la forme et la substance sont créées, comme sont créées
les entités scolastiques pour les partisans de la théorie adventiste. Mais lorsqu'on
considère l'encre dans l'encrier et les lettres de l'alphabet, alors on voit
que la forme et la substance préexistent comme l'affirment les partisans de
l'existence éternelle des entités scolastiques.
Là, 'Abdu'l-Baha s'écarte totalement d'Aristote, puisque précisément pour Aristote
d'une part, le général ne procède pas du particulier, et d'autre part l'acte
est ontologiquement antérieur à la puissance. Ainsi, l'Être non défini ne saurait
exister.
Toutes ces considérations permettent à 'Abdu'l-Baha d'arriver à la conclusion
que les formes eidétiques (qabiliyyat) et les substances réceptrices (maqbulat)
ont été nécessairement créées simultanément. (485)
Mais si l'Être non défini ne peut exister indépendamment on a ainsi ruiné les
bases de l'ontologie classique, qu'elle soit grecque, musulmane ou chrétienne.
Certes, nous ne sommes pas loin du nominalisme, mais ce serait une erreur d'assimiler
cette position au nominalisme ockamiste car ni ses bases, ni ses conséquences
ne sont les mêmes.
XVI.8. Ontologie et langage
Ayant ainsi rassemblé tous les éléments du Tafsir qui se rapportent à l'ontologie,
il nous faut maintenant tenter d'en faire une synthèse.
Le premier élément qui ressort, c'est le rôle qu'Abdu'l-Baha prête au langage
en général, et l'utilisation particulière qu'il fait de la logique. Le langage
est un produit du monde sensible. Or, du monde sensible le langage permet seulement
de comprendre les réalités mathématiques (ahsa) et certaines réalités intellectuelles,
comme la Nature, mais il ne permet pas de comprendre les réalités spirituelles,
comme l'Amour par exemple.
Parmi ces réalités spirituelles, il en est dont la perception intuitive est
immédiate, mais d'autres sont elles-mêmes au-delà de l'intuition de l'homme,
parce que l'intuition reste basée sur l'expérience empirique. Pour parler de
ces réalités spirituelles, l'homme n'a donc d'autre recours que d'emprunter
la voie de l'analogie (tamthil). Ainsi, notre compréhension du monde spirituel
est limitée par l'expérience du monde sensible.
'Abdu'l-Baha n'a pas plus confiance en la logique. La logique peut produire
un raisonnement irréprochable parfois, sans que cela soit nécessairement un
gage de vérité, à partir du moment où les données qui sont en cause ne sont
plus des données empiriques.
Son refus de trancher entre la position des différentes Écoles est-il un refus
réel? Il ne l'est probablement qu'en partie. En affirmant que les différences
d'opinions entre les écoles philosophiques et mystiques tiennent à des différences
de perspectives, il montre en même temps le caractère vain de leurs débats et
l'absence d'enjeu réel.
'Abdu'l-Baha considérait-il les entités scolastiques énumérées tels que les
archétypes, les formes essentielles, les quiddités, les réalités spirituelles
et les qualifications comme ayant une existence réelle indépendante de l'homme,
ou seulement comme des distinctions entre les catégories logiques de l'esprit
humain ? Il paraît difficile de répondre à cette question; sans doute parce
qu'il n'y a pas de réponse globale, et qu'il faudrait reprendre tous ces termes
afin de réaliser une étude spécifique pour chacun d'eux.
Si 'Abdu'l-Baha use de ces termes, c'est avant tout parce que ce sont les termes
en usage dans les écoles théologiques de son temps, et parce que ce sont ceux
qu'utilise son interlocuteur qui probablement avait fourni une liste écrite
de questions et donc déjà partiellement prédéterminé le vocabulaire. Si nous
nous tournons maintenant vers les Écrits de Baha'u'llah, nous nous apercevons
que lui même a employé tous ces termes.
De la même façon, tous les termes ne sont pas employés avec la même fréquence.
Haqiqat (la réalité) et haqa'iq (les réalités spirituelles) sont des expressions
qui sont employées avec une grande fréquence. A'yan (archétypes), shu'unat (qualités
potentielles, qualifications) et mahiyyat (quiddités) sont d'un emploi très
rare dans le reste de l'oeuvre de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha. Il est problable
que pour lui, seules les réalités spirituelles constituent des réalités indépendantes.
Les autres sont de pures distinctions intellectuelles, si on s'en tient aux
définitions de la philosophie scolastique.
Cependant, on trouve chez Baha'u'llah un autre usage de ces termes totalement
distinct des définitions scolastiques et qui emploie ce vocabulaires soit pour
distinguer différents modes ontologiques parmi les réalités spirituelles, soit
pour qualifier certaines fonctions herméneutiques lorsque nous sommes dans le
contexte des "mondes divins".
XVI.9. Les degrés essentiels
Ce qui est très frappant, c'est le caractère très imprécis du vocabulaire d'Abdu'l-Baha.
A un moment, il parle comme si les A'yan, les haqà'iq et les mahiyyat constituaient
une seule et même catégorie, elle-même comprise dans la catégorie plus vaste
des shu'unat. Or, si on regroupe toutes les informations que nous donne le Tafsir
sur les shu'unat, on doit les définir comme l'état latent ou virtuel dans l'essence
d'une idée, d'une forme, ou d'une réalité intelligible qui constitue un attribut
ou une propriété de cette essence et une différenciation potentielle de la réalité
première. A partir de cette définition, même pour un philosophe, il est difficile
de trancher afin de savoir si les shu'unat ont une existence purement intellectuelle,
ou si elles constituent des êtres intelligibles indépendants de l'esprit humain.
A un autre endroit (486), 'Abdu'l-Baha
nous dit que les Mahiyyat (quiddités) qabiliyyat (formes eidétiques), et a'yan
(archétypes) font partie de la même catégorie des réalités spirituelles (haqa'iq),
laissant entendre soit que tous ces termes désignent une réalité unique, soit
qu'il s'agit de réalités apparentées qui peuvent toutes être regroupées dans
la catégorie des "réalités spirituelles". Ya-t-il là une contradiction, ou faut-il
comprendre que les haqa'iq et shu'unat sont des termes synonymes ? Une fois
de plus, nous constatons le caractère fluctuant du vocabulaire dans l'oeuvre
d'Abdu'l-Baha comme dans l'oeuvre de Baha'u'llah, et nous en avons déjà expliqué
les raisons.
En fait, si nous nous reportons à l'usage de ce vocabulaire chez Baha'u'llah,
nous nous apercevons que seulement deux termes ont une importance réelle : les
shu'unat et les haqa'iq.
Des indications sur les shu'unat nous sont fournies par Baha'u'llah dans le
recueil des Munajat. Une étude attentive du vocabulaire nous montre qu'il utilise
le mot dans des contextes différents. D'une part, il parle du pouvoir divin
(487) (shu'unati qudratika). Le terme
semble alors caractériser le déploiement du pouvoir divin, on pourrait le rendre
par "exemplification". Il qualifie le processus par lequel le pouvoir divin,
en puissance dans l'essence divine, passe en acte dans la réalité des choses
à travers sa descente dans les différents mondes divins.
Un autre usage est celui qui lie les shu'unat au monde sensible. Baha'u'llah
parle des shu'unàt de la création (khalq) (488),
ou des shu'unat du Nasut (489) Par là,
il semble vouloir désigner les rangs et les degrés par lesquels les créatures
sensibles se distinguent les unes des autres. Or, ces rangs et ces degrés ne
sont rien d'autre que le passage en acte de ce qui était contenu dans l'essence;
c'est-à-dire la manifestation dans le monde sensible (mulk; nasut) de leur réalité
dans le Malakut.
Ces deux emplois ont une chose en commun. Ils marquent le passage d'une sphère
ontologique à une autre. Dans un cas, il s'agit du pouvoir divin qui, émanant
du monde du Lahut, se manifeste dans les mondes du Jabarut et du Malakut. Dans
le deuxième cas, il s'agit de la manifestation des attributs de l'essence, c'est-à-dire
du passage du monde intelligible au monde sensible.
XVI.10. Les réalités spirituelles
Le mot haqiqat (pl. haqa'iq) recouvre un concept beaucoup plus facile à définir.
On rend généralement le terme par "réalité" ou "essence". L'usage du mot essence
peut avoir pour inconvénient de renvoyer au terme aristotélicien, ou de réintroduire
les définitions de la scolastique médiévale; aussi faut-il avancer avec beaucoup
de prudence dans nos tentatives de définition.
Ce qui apparaît de manière sûre, c'est que les réalités spirituelles (haqa'iq)
se trouvent dans la hiérarchie des mondes divins entre l'essence de Dieu (Lahut)
et le monde sensible (mulk). Faut-il comprendre que les réalités spirituelles
ne sont que des réalités intelligibles (ma'qulat)? C'est là qu'intervient notre
concept de réalités "intellectuelles" ('aqli). Les réalités intellectuelles,
sont les réalités intelligibles qui n'existent pas indépendamment de l'homme.
La distinction entre l'essence et l'existence est un exemple de réalités intellectuelles.
Les réalités spirituelles (haqa'iq), quant à elles, existent indépendamment
de l'homme, comme par exemple la charge de l'électron ou l'Amour de Dieu.
Nous comprenons ici que la conception de "réalités spirituelles" ne peut être
appréhendée dans le cadre de la dualité opposant des mondes intelligibles au
monde sensible. Toutes les réalités spirituelles sont des réalités intelligibles
(mais pas intellectuelles). Cependant, toutes n'ont pas la même relation spirituelle
indépendante du monde sensible.
XVI.11. L'unité du monde créaturel
Pour bien comprendre la notion de réalité spirituelle, il nous faut cesser d'opposer
le monde intelligible au monde sensible afin de saisir l'unité du "monde créaturel"
(490) ('alam al-kalq). C'est cette unité
que nous avons définie comme Plérôme. En fait, seuls existent Dieu et sa création,
et la création de Dieu doit être comprise comme une entéléchie, une réalité
spéculaire parfaite, embrassant des mondes infinis. Le monde sensible n'est
qu'une petite partie du monde créaturel qui lui-même est infini.
L'âme est une réalité spirituelle. Au cours de notre vie terrestre, elle est
liée au monde sensible, bien que sa réalité ne quitte jamais le Malakut. Cependant,
l'âme survit à la disparition du corps. Ce qui signifie bien que son existence
peut avoir un caractère indépendant du monde sensible. Cette survie est le signe
que le monde créaturel s'étend au-delà du monde sensible. Le monde créaturel
englobe tous les mondes et toutes les sphères ontologiques qui sont en-dehors
de l'essence divine, ainsi que ce monde intermédiaire que Baha'u'llah appelle
le Monde de la Révélation ou le Monde du Commandement (amr). Le monde spirituel
du Malakut comme le monde sensible en font partie; le Jabarut également lorsqu'il
n'est pas identifié au Monde de la Révélation.
Certaines réalités spirituelles paraissent attachées au monde sensible. En fait,
à chaque réalité sensible correspond une ou plusieurs réalités spirituelles.
La réalité spirituelle d'une chose constitue son principe éternel qui est au-delà
des accidents de la forme et de la matière. Il ne faut cependant pas confondre
le monde des réalités spirituelles avec le monde des essences. La métaphysique
de Baha'u'llah n'est ni une métaphysique de l'essence, ni une métaphysique de
l'existence. L'essence et l'être constituent une seule et même réalité. On ne
peut considérer l'être en-dehors de l'existence d'une contingence (mumkina)
attachée à une entité elle-même contingente (ka'in). L'Être est la propriété
de ce qui est engendré. Jamais Baha'u'llah ne range l'existence (wujud) au rang
des attributs divins (491).
Si les réalités spirituelles peuvent être attachées au monde sensible, se pourrait-il
que les réalités spirituelles soient les formes et les images qui peuplent le
Monde imaginal? Nous allons maintenant essayer de répondre à cette question.
Notes
(445) Louis Gardet et M.M Anawati ; Introduction
à la théologie musulmane, p.48, 3e éd.Paris , 1981.
(446) Gardet et Anawati , op. cit. p.
57 .
(447) cf.Henri Laoust, Les Schismes de
l'Islam, p.128 , Paris 1965.
(448) Laoust op. cit. p.305 .
(449) Tafsir .
(450) Tafsir , p. 11.
(451) Tafsir p. 12
(452) op. cit. p. 6
(453) op. cit. p. 11
(454) ibid. p. 1O.
(455) op.cit.p. 11.
(456) op.cit.p.18. L'expression persane
tawhid-i-shuhudi est équivalente à l'arabe Wahdat al-shuhud que Massignon traduit
par "monisme testimoniale" par opposition à"monisme existentiel" (wahdat al-wujud).
(457) Nous appelons ici par simplification
entités scolastiques toutes ces distinctions dans la réalité des étants que
la philosophie persane du XIXe siècle avait héritées de l'aristotélisme avicennisant,
tels que les archétypes (a'yan) , quiddités (mahiyyat), formes eidétiques (qabiliyyat),
les déterminations (shu'unat) , etc. Nous voulons éviter de poser la question
du mode d'être de ces entités, car on peut se demander si elles ont une existence
propre en-dehors de l'esprit humain. Cette terminologie est totalement inadaptée
à décrire la philosophie baha'ie, et si 'Abdu'l-Baha l'emploie c'est uniquement
pour satisfaire son interlocuteur.
(458) ibid. p. 15.
(459) ibid. p. 12.
(460) ibid. p.12.
(461) ibid.p.14.
(462) ibid . p. 15 .
(463) ibid p. 16 .
(464) Cette conclusion est une synthèse
entre ce que 'Abdu'l-Baha dit de l'Amour dans le Tafsir et ce qu'il dit dans
les Leçons de Saint Jean d'Acre ainsi que dans ses causeries aux États-Unis
.
(465) ibid. p. 15 .
(466) ibid ; p. 13 .
(467) ibid . p .16 .
(468) ibid . p .12.
(469) Le mot mahiyyat , traditionnellement
traduit par quiddités est assez difficile à définir dans la mesure où son sens
fluctue beaucoup à partir du XVI siècle. Le terme est fabriqué à partir de l'arabe
"ma huwa? " "quel est-il?" qui est la traduction de la question d'Aristote "to
ti einai ?". L'expression "quiddité" a donc une longue histoire aussi bien dans
la scolastique musulmane que chrétienne. Le mot "quiddité" a été introduit par
les traducteurs latins d'Avicenne, et formé à partir de quid (quelle chose),
la question quid sit? visant à définir la chose en soi ; c'est-à-dire "l'essence
en tant qu'elle est distinguée de l'existence" (Lalande,Vocabulaire technique
et critique de la philosophie, 9° éd., Paris, 1962, p.873). Le Grand Dictionnaire
Universel du XIX° siècle (Paris, 1875) donne à la page 541 du tome XIII le commentaire
suivant: "La scolastique entendit par ce mot la qualité essentielle et distincte,
la nature propre d'une chose ... Un être n'est pas seulement être, mais tel
être, déterminé, particulier, concret; l'ensemble des conditions d'où résulte
ce caractère est la quiddité. La quiddité diffère de la qualité, non seulement
en ce qu'elle est la qualité essentielle et distinctive, mais encore en ce qu'elle
embrasse en entier, comme un tout indivisible, ce qui constitue tel être, l'être
avec sa détermination propre, la substance avec ses attributs, la matière avec
sa forme; la matière n'étant rien sans forme , ni la forme sans une matière."
(470) ibid .p.19 .
(471) ibid. p. 16.
(472) ibid .p.15.
(473) ibid. p.15.
(474) ibid. p. 39-40 .
(475) ibid . p.4O .
(476) ibid. p.24 .
(477) ibid. p. 25 .
(478) ibid. p.28 .
(479) ibid. p. 35 .
(480) ibid p.35 .
(481) cf. Ibn 'Arabi , La sagesse des
prophètes, pp. 23, 26, 45, 72.
(482) La diversité de traduction qu'on
rencontre pour traduire l'expression al-a'yan al-thabita illustre la difficulté
à traduire les termes philosophiques arabes. A.E.Afifi dans "The mystical philosophy
of Muhyid-din ibnu l'Arabi" la traduit par "possible beings". Corbin parle d'"heccéité
éternelles" certains auteurs traduisent l'expression par "essence immuable "(Burckhardt).
Nous traduisons quant à nous par "archétype éternel" sans que cette expression
soit pleinement satisfaisante.
(483) Une fois de plus il faut renoncer
à traduire exactement les termes arabes .
(484) Tafsir p. 36 - 37 .
(485) ibid.p.37.
(486) ibid . p . 26 .
(487) cf. par exmple Munajat n° 63 . p
; 73 ; n° 56 p.61 ; n° 32 p. 36 .
(488) op.cit.n° 44 . p. 48 .
(489) ibid . n° .38 . p . 4O .
(490) Baha'u llah appelle "le monde créaturel"
, "le monde des contingents" ('alam al mumkinat).
(491) Baha'u'llah distingue l'être ou
l'existence (wujud) qui est la propriété des "étants" (mawjudat), c'est-à-dire
des créatures, du mode d'être de Dieu qu'il désigne par le terme (kaynuna) malheureusement
intraduisible. Peut-être pourrait-on parler "d'existentialité", ou d'"essencialité"
(du latiun esse être et non du français essence) - cf. Munajat n° 38 p. 38 .