L'esprit antropique
Par Jean-Marc Lepain


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Chapitre V. Le problème philosophique des constantes universelles

5.1. L'interprétation métaphysique du Principe anthropique

On a souvent lié le Principe anthropique au problème posé par l'extraordinaire coïncidence que présente la plupart des constantes de la nature et les grands nombres architectoniques de notre univers, si bien que le Principe anthropique est souvent vu comme un principe conduisant à des interprétations spiritualistes de l'univers.
En réalité, le Principe anthropique, dans son fonctionnement, est beaucoup plus neutre d'un point de vue métaphysique que la plupart des scientifiques ne le croient; et en ce sens on peut également dire qu'il présente plus de garanties scientifiques qu'on ne le pense. Tout est ici une question d'interprétation.
L'argument de Jacques Monod [80] selon lequel la vie ne serait que le résultat fortuit d'une série d'accidents dûs au hasard a aujourd'hui perdu toute crédibilité. La preuve en est que les adversaires de la finalité ont totalement abandonné l'argument du hasard au profit de théories beaucoup plus sophistiquées comme la théories des mondes multiples. L'idée qui s'impose aujourd'hui est que la vie et la conscience étaient inscrites dans les conditions initiales de l'univers.
Une fois ces conditions fixées, l'apparition de la vie intelligente n'est que l'aboutissement d'un processus inexorable qui ne doit rien au hasard. Ainsi que l'écrit Trinh Xuan Thuan: "Le vrai hasard ne réside pas dans les rencontres de particules, de quarks, d'atomes et de molécules, mais dans le choix des constantes physiques et des conditions initiales. Une fois celles-ci fixées, la matière contient déjà en elle les germes de l'éclosion de la conscience, et la gestation cosmique va mener inexorablement jusqu'à nous." [81]

Contrairement à ce que certains croient, le Principe anthropique n'est pas une reprise de l'argument du dessein. Les partisans de l'argument du dessein constatent l'extraordinaire harmonie qui règne dans l'univers, s'appuient sur les coïncidences que présentent les constantes et les grands nombres architectoniques pour affirmer que l'univers poursuit un but planifié par une intelligence transcendante.
Cependant, la perspective anthropique réduit singulièrement le nombre de ces coïncidences en montrant que, comme l'avait pensé Hume, beaucoup d'entre elles s'expliquent par une nécessité de cohérence interne; de ce fait le Principe anthropique apparaît comme le seul moyen de relier entre elles certaines caractéristiques de l'univers. Mais ce qui renverse complètement les interprétations classiques et positivistes, c'est que cette cohérence interne ne dépend pas seulement des conditions initiales de l'univers, mais également des conditions présentes, et probablement des conditions futures.
Le déterminisme qui gouverne un système aussi complexe que notre univers semble ignorer complètement le temps. Selon cette hypothèse, certains aspects de notre univers qui apparaîtraient comme non déterministes ne le seraient que dans le cadre de la temporalité et pourraient être le fruit d'un déterministe conditionné par les états futurs de l'univers qui, par définition, sont inconnus de l'homme.

Si cette perspective s'avérait exacte, c'est toute notre conception de la téléologie qui serait remise en cause, et la téléologie moderne n'aurait plus rien à voir avec la téléologie classique. Alors que, dans les conceptions classiques, soit on considère que c'est tout l'univers qui évolue vers un but préordonné, soit on considère que l'évolution de l'univers doit être interprétée en fonction d'une finalité souhaitable telle que l'apparition de l'homme, dans cette téléologie moderne, l'univers est alors décrit comme un organisme dont la nature même est téléologique.
La téléologie devient immanente à l'univers, ce qui permet de séparer clairement deux formes de téléologie: l'une scientifique qui est immanente, l'autre métaphysique qui est transcendante. Il revient alors à la philosophie d'articuler ces deux points de vue. Nous reviendrons à ce problème lorsque nous parlerons de la différence entre téléologie épistémologique et téléologie métaphysique.

Une autre conséquence importante que suggère le Principe anthropique fort c'est que l'intelligence n'est pas une simple caractéristique parmi d'autres d'une espèce vivante, car l'existence d'une vie intelligente doit jouer un rôle essentiel dans le cosmos. Comme l'écrit Trinh Xuan Thuan: "Le Principe anthropique a auréolé l'univers de finalité: il tend vers la conscience." [82]
L'apparition de la conscience et de l'intelligence réflexive ne doit plus seulement être interprétée dans le cadre de l'évolution des espèces, mais son existence doit être resituée par rapport à l'ensemble des propriétés remarquables de notre univers; propriétés qui comprennent les structures macroscopiques et microscopiques, et les caractéristiques cosmologiques, physiques, chimiques et biologiques de l'univers.
L'apparition de la conscience n'est pas seulement une phénomène neurologique mettant en jeu les propriétés physico-électriques de certaines cellules vivantes. Le passage de la vie à la conscience réflexive marque un saut quantique aussi fondamental que le passage de la matière inanimée à la matière animée.
Le Principe anthropique fort montre clairement que la vie humaine est un phénomène fondamentalement différent de la vie animale, même si elle est basée sur les mêmes propriétés biologiques. Cette perspective rejoint tout à fait ce qu'on trouve dans les Écrits baha'is qui insistent sur le fait que l'homme constitue un règne distinct du règne animal en raison de ses capacités intellectuelles et spirituelles qui ne sont pas seulement le résultat de propriétés biologiques.
Dans cette perspectives, les propriétés biologiques jouent certainement un rôle. L'apparition de l'intelligence est liée au développement du cerveau. 'Abdu'l-Baha fait lui-même remarquer que le développement de l'intelligence chez l'enfant est étroitement lié à sa maturité physiologique. Mais si nous interprétons correctement la philosophie baha'ie, nous devons comprendre que des phénomènes tels que la vie et la conscience ne dépendent pas seulement du degré de sophistication physiologique des structures moléculaires, mais que cette sophistication, loin de produire elle-même des propriétés nouvelles chez les êtres existants, permet de mettre en relation les êtres vivants ou les êtres conscients avec des propriétés préexistantes dans la création.
Ce sont ces propriétés que 'Abdu'l-Baha appelle "Esprit", et lorsqu'on parle d'un esprit minéral, végétal, animal, et humain, nous devons comprendre qu'il s'agit de propriétés préexistantes de la création qui se manifestent lorsque les structures moléculaires et biologiques ont atteint un degré de sophistication suffisant. La conscience réflexive est une forme de vie différente de la vie animale non sur le plan biologique, mais en ce sens qu'elle manifeste des propriétés qui préexistaient dans la création, mais qui en aucun cas doivent être regardées comme la création et le résultat de l'évolution biologique seule.
Selon un exemple peut-être un peu trop banal, l'existence de l'appareil de radio manifeste l'existence des ondes radio, mais en aucun cas, il ne crée les ondes radio lui-même. De la même façon, les différentes propriétés de l'esprit universel sont présentes dans l'univers, mais elles nécessitent l'évolution moléculaire et biologique pour être manifestées.


5.2. Le Principe anthropique et les constantes de l'univers

S'il n'est pas possible, comme nous le pensons, d'éviter tout raisonnement téléologique dans la science, il faut reconnaître que Hume avait en partie raison lorsqu'il suggérait que les propriétés particulièrement remarquables de notre univers peuvent résulter moins d'un dessein que d'une nécessité semblable à celle que l'on trouve dans les problèmes algébriques et dans la construction des figures géométriques.
On comprend pourquoi les propriétés particulières des angles d'un triangle sont liées au fait que le triangle a trois côtés. Si le triangle avait plus de deux dimensions ou plus de trois côtés, les propriétés particulières des angles n'auraient plus le même sens, et même pour la plupart, n'existeraient même plus.
Il faut cependant s'interroger pour savoir jusqu'où on peut pousser l'argument de Hume. La réponse qu'on donnera à cette question suppose d'avoir déjà résolu le problème de la rationalité et de l'intelligibilité de l'univers, car si ces caractéristiques remarquables reposent sur les propriétés d'un système dont la rationalité échappe totalement à l'homme, la discussion s'arrête immédiatement. Si cependant, on admet que l'univers est, soit totalement, soit partiellement, rationnel et intelligible à l'homme, alors il faut déterminer si, par exemple, toutes les coïncidences qu'on retrouve dans les rapports qui lient les grandeurs fondamentales de l'univers sont explicables par la seule nécessité découlant de la rationalité elle-même.
Ceci n'est pas sans poser de nouveaux problèmes, car affirmer que toutes les coïncidences cosmologiques et physiques, toute l'harmonie qui résulte d'un très fin réglage des constantes de l'univers, est le produit de la seule nécessité résultant des contraintes de consistance de ses structures fondamentales peut s'expliquer de deux manières.
Soit cette consistance des structures fondamentales résulte du fait que tous les principes du système sont le fruit du déploiement d'une logique engendrée par un premier principe plus fondamental que les autres, soit il faut admettre que ces structures fondamentales sont gouvernées par une rationalité immuable qui s'impose au système comme loi unique de construction. C'est faire, dans les deux cas, soit du principe premier, soit de la rationalité, un principe transcendant, non contingent par rapport à la réalité phénoménale, et préexistant ontologiquement à l'univers, ce qui n'est pas précisément le résultat auquel souhaitent aboutir ceux qui, en général, désirent débarrasser la science de tout raisonnement téléologique.


5.3. Les constantes Alpha et Beta

Ce que pressentait Hume s'est bien entendu partiellement réalisé. Il existe un grand nombre de caractéristiques de l'univers, depuis la taille des arbres, la portée des différentes forces, jusqu'à la taille des particules élémentaires ou des étoiles, qui s'expliquent comme étant les conséquences des principes fondamentaux des lois universelles. Mais ce que n'avait pu voir Hume, c'est que ni l'univers et ses propriétés, ni même d'ailleurs la géométrie, ne sont pas réductibles à des lois.
L'idée de "rapports nécessaires" est d'ailleurs une idée vague qui est susceptible de changer de contenu dans le temps. Si nous considérons les propriétés des angles d'un triangle comme un rapport nécessaire en serat-il de même avec le rapport de la masse de l'électron à la masse du proton?
Notre univers ne dépend pas seulement du fonctionnement des lois de la physique, mais tout autant de la sélection des constantes fondamentales et d'un certain nombre de ratio entre des valeurs architectoniques importantes. Par exemple, nous savons maintenant que toutes les propriétés fondamentales des systèmes atomiques et des systèmes moléculaires sont gouvernées par deux grands nombres sans dimension: la constante Alpha?de structure fine et le ratio Beta de la masse de l'électron et du proton. La constante de structure fine, qui joue également un rôle important dans l'électrodynamique quantique, est définie comme le carré de la charge de l'électron divisé par le produit de la constante de Planck et de la vitesse de la lumière et elle égale à 1/137,036. Il existe donc un rapport arithmétique très clair entre le nombre sans dimension ? et trois autres constantes de l'univers, mais aucune théorie n'est parvenue à expliquer ce rapport, pas plus qu'on est arrivé à justifier la valeur du nombre Beta = (me / mn) égale à 1/1836. La relation qui existe entre Alpha et Beta explique pourquoi les atomes sont des structures étendues contenant un grand espace vide entre les électrons et le noyau, car le rayon de l'atome est une relation qui est équivalente à (Alpha me) puissance -1 que multiplie le nombre de proton de l'atome. Cette structure particulière de l'atome et les différences de portée entre la force atomique forte et la force atomique faible expliquent comment les atomes peuvent se combiner et ainsi déterminer des propriétés nouvelles dont la chimie a fait l'objet de son étude. Sans les valeurs très particulières de Alpha et Beta , la constitution de molécules complexes aurait été impossible et la vie n'aurait pu apparaître. Un grand nombre de propriétés de la matière tiennent à des grandeurs qui relient Alpha à la masse de l'électron. Par exemple, les propriétés de la matière à certains niveaux de température: à une température de " ~0,05 - 0,2 Alpha carré me " la matière se présente à l'état liquide et ce n'est qu'à une température de " ~0,2 Alpha carré me " que l'existence de matière solide est possible.

Ce qui est moins évident au premier abord, c'est que la masse de l'électron et du neutron ainsi que la portée de la force d'interaction atomique jouent un rôle fondamental dans la structure des grands corps célestes tels que planètes, étoiles et galaxies que l'on pourrait croire essentiellement gouvernés par la force de gravité. Ce sont les constantes qui gouvernent le niveau subatomique de la matière, qui déterminent la taille des corps célestes et leur durée de vie et par conséquent qui ont une grande influence sur l'âge de l'univers et la façon dont il nous apparaît aujourd'hui.
La taille des planètes et des étoiles dépend d'un équilibre très précis entre la force de gravité et les forces de la mécanique quantique. Si une étoile est trop massive, elle s'effondre sur elle-même.
Et de même, au-delà d'un certain seuil de pression au coeur d'un corps céleste, commence une réaction thermonucléaire qui transforme ce corps en étoile. Le seuil de la réaction thermonucléaire dépend du seuil d'équilibre entre la force de gravitation et l'interaction atomique forte et l'énergie cinétique nécessaire pour qu'un noyau passe à travers la barrière de répulsion électrostatique de Coulomb.
La durée de vie de l'étoile dépend de sa masse puisque plus l'étoile est massive plus la pression est forte en son coeur et plus la réaction thermonucléaire est accélérée. Par conséquent, plus une étoile est massive, plus son espérance de vie est brève. La durée de vie d'une étoile (t*) dépend d'un rapport entre l'énergie nucléaire nécessaire pour la fusion de l'hydrogène et la luminosité de l'étoile (L*) [83].
La luminosité dépend elle-même d'un rapport entre l'énergie de radiation disponible et le temps nécessaire pour un photon pour voyager du centre de l'étoile à sa surface. Une étoile d'une masse égale à 30 masses solaires a une espérance de vie de 10 millions d'années, alors que notre soleil a une espérance de 10 milliards d'années parce que la pression au coeur de l'étoile augmente en fonction de la taille selon un facteur de N au carré . Ceci explique pourquoi la vie ne peut exister que dans des planètes tournant autour d'étoiles de type G2 ayant approximativement la masse de notre soleil. Les rapports entre les différentes constantes expliquent pourquoi notre univers est si vieux, et donc si étendu, si on tient compte de sa vitesse d'expansion.


5.4. L'interaction atomique forte et la force électromagnétique

Outre les constantes Alpha et Beta, l'interaction forte permet d'expliquer de nombreuses propriétés de la matière, notamment la taille des nucléons et le nombre de neutrons et de protons qui les composent qui sont des caractéristiques responsables de nombreuses propriétés des atomes. La question qui se pose ici est bien évidemment de savoir comment la force et la portée de l'interaction forte et faible ont été sélectionnées. La valeur constatée de cette interaction est située juste dans l'étroite plage qui permet aux atomes d'être stables, tout en permettant à des nucléons de tailles différentes de se constituer. C'est cette diversité atomique qui se trouve à la source, non seulement de toute la chimie minérale, mais également des processus chimiques complexes à l'oeuvre dans les organismes biologiques, telle la nucléosynthèse.

Aucune loi physique n'est encore parvenue à expliquer la portée de l'interaction forte, or cette portée n'est pas seulement importante pour la stabilité des atomes mais elle joue un rôle important pour déterminer le seuil de fusion thermonucléaire et donc pour déterminer l'espérance de vie de l'univers. Si l'interaction nucléaire avait été un peu plus forte, toute l'hydrogène se trouvant dans le coeur des étoiles aurait rapidement été transformée en hélium (He au carré) à un âge précoce de l'univers empêchant la formation d'étoiles stables et durables.
Si l'interaction avait été légèrement plus faible, on n'aurait pu voir se former aucun atome plus lourd que l'hydrogène, réduisant considérablement la diversité atomique sur laquelle est basée les phénomènes chimiques complexes. Il n'est pas impensable qu'on puisse un jour expliquer la portée de l'interaction forte et faible dans le cadre d'une théorie de jauge ou d'une autre théorie permettant d'unifier les quatre grandes forces de l'univers. On sait que d'après les théories de jauge, l'univers possédait à l'origine un symétrie parfaite qui s'est brisée lorsque la température de l'univers est tombée à moins de 3 millions de milliards de degrés Kelvin ( 3 x 10 puissance 15 °K).
On pense que généralement au-dessus de cette température, il y avait unité entre les interactions faibles et électromagnétiques. On pourrait donc très bien imaginer qu'une fois que nous aurons compris l'unité des quatre grandes forces de l'univers et le processus dont découle leur éclatement dans un univers de basse énergie, nous soyons également en mesure d'expliquer pourquoi l'interaction faible et forte ont la force et la portée que nous leur connaissons.
Mais ce pourquoi n'est pas un véritable "pourquoi", c'est tout au plus un "comment", car même si nous connaissions parfaitement les mécanismes de sélection de ces valeurs, il y a tout à parier que la connaissance parfaite de ces mécanismes ne nous dira rien sur les raisons qui font que les valeurs sélectionnées sont les seules qui permettent non seulement un univers stable, mais très précisément un univers réglé pour permettre la vie.


5.5. L'énigme du carbone

La vie étant basée sur le carbone, il est essentiel de comprendre pourquoi le carbone est un élément aussi important dans l'univers et quelles en sont les conséquences d'un point de vue anthropique. Le carbone étant un produit de la fusion thermonucléaire qui se produit dans le coeur des étoiles et qui dégrade l'hydrogène:

(3H2 puissance 4 --> C puissance 12 + 2 gamma).

La vie ne pouvait pas apparaître pendant toute cette période de l'histoire de l'univers où le carbone était soit inexistant soit relativement rare. Dans la réalité, la production de carbone est plus complexe que ne semble le montrer la formule ci-dessus car si les choses étaient aussi simples la réaction serait trop lente pour produire la quantité de carbone que nous constatons dans l'univers. Le problème ne fut résolu que lorsque Salpeter montra que la réaction devait être autocatalytique et procéder par la production intermédiaire de béryllium selon la formule:

2He puissance 4 + (99 ± 6) KeV--> Be puissance 8

Be puissance 8 + He puissance 4 --> C puissance 12+ 2??????

Pour que le béryllium puisse interagir avec l'hélium, il faut que sa durée de vie soit suffisamment longue (~10 puissance -17 s), comparée au temps de collision des atomes d'hélium (~10 puissance -21 s). Cependant, une seconde condition était nécessaire qui ne fut découverte que deux ans plus tard par Hoyle en employant un raisonnement typiquement anthropique. En étudiant dans le détail le processus de la nucléosynthèse, Hoyle comprit que la production de carbone en telle quantité n'était pas possible à moins quelle ne se fasse par résonance. Se fondant sur l'abondance du carbone dans l'univers, Hoyle émit donc l'hypothèse que la transformation se produisait par résonance avec un niveau de résonance pour les noyaux de C puissance 12 proche de 7,7 MeV.
Cette prédiction s'avéra remarquablement exacte et peu de temps après des travaux expérimentaux permirent de trouver que la résonance du noyau de carbone se situe à 7,656 ± 0,008 MeV.
Ceci est une nouvelle "coïncidence" remarquable car ce chiffre se situe juste au dessus du niveau d'énergie du couple Be puissance 8 + He puissance 4 permettant ainsi au noyau de C puissance 12 d'acquérir de l'énergie thermique à l'intérieur de l'étoile et d'entrer ainsi en résonance. Cependant, la stabilité de l'atome de carbone exige une autre coïncidence de manière à ce que l'ajout d'un nouveau noyau de hélium-4 ne transforme pas le carbone en oxygène (O puissance 16).
Pour éviter cette catastrophe, il faut une nouvelle coïncidence qui fait que le niveau d'énergie du noyau de O16 se situe à 7,1187MeV juste au-dessous du niveau d'énergie de C puissance 12 + He puissance 4 qui se trouve à 7,1616 MeV, soit à un niveau où aucune résonance ne peut apparaître. Si le niveau d'énergie de 016 avait été légèrement au dessus de C puissance 12 + He puissance 4 tout le carbone aurait été transformé en oxygène [84].

Au moins trois "coïncidences" sont donc nécessaires pour la production de carbone. On peut bien entendu penser que ces coïncidences s'expliquent par la force des interactions nucléaires et électromagnétiques ainsi que par le rapport existant entre la masse de l'électron et la masse du nucléon, bien qu'une démonstration rigoureuse soit pour le moment impossible. Mais cela nous montre combien la sélection de ces trois constantes fondamentales peut avoir de répercussions importantes. Ces nombres fondamentaux gouvernent tant de coïncidences importantes pour l'existence des observateurs que nous sommes qu'on ne peut que s'étonner et penser que leur principe de sélection relève d'une rationalité supérieure.

Les coïncidences de Hoyle pose un type de problème scientifique et philosophique assez différent de celui des constantes fondamentales. Les constantes fondamentales semblent avoir été sélectionnées avant même l'apparition des particules et avant le temps de Planck. En ce sens, elles sont vraiment "fondamentales" et apportent une contribution essentielle à l'architecture de l'univers. Leur origine restera probablement toujours mystérieuse, comme restera toujours mystérieux ce qui s'est produit avant le temps de Planck.
Mais on peut émettre des propositions pour tenter de réduire leur caractère apparemment irrationnel, comme la proposition qu'elles trouvent leur origine dans un principe premier de sélection ou dans un principe de rationalité qui impose sa structure à l'univers. Il n'en va pas de même des coïncidences de Hoyle, parce que ces coïncidences n'apparaissent nullement aussi "fondamentales" que les constantes universelles. Elles se produisent dans un univers qui est déjà gouverné par les lois de la physique, et il n'existe apparemment aucun moyen de relier ces coïncidences à un problème plus fondamental. C'est pourquoi ces coïncidences présentent un argument de poids pour la version du Principe anthropique fort qui affirme que la vie et plus tard la conscience intelligente sont apparues par une nécessité résultant des structures mêmes de l'univers.

L'apparition de l'hydrogène et du carbone est étroitement dépendant de la valeur de l'interaction électromagnétique. L'existence même du carbone repose sur une "coïncidence" parfaite impliquant la portée relative de force atomique et de la force atomique qui exige que



car si la charge de l'électron était plus forte il serait impossible de former de noyau atomique ayant plus de cinq protons (Z>5) et satisfaisant la relation de stabilité:



et par conséquent le carbone ne pourrait exister.

On a vu que les constantes Alpha et Beta jouent un rôle considérable dans la nature et dépendent d'autres constantes qui sont encore plus fondamentales, telle que la constante de Planck, la charge de l'électron et la vitesse de la lumière qui ne sont ni décomposables, ni ne peuvent s'expliquer par des relations arithmétiques ou géométriques. On est en droit de penser que même s'il existe des liaisons entre toutes les constantes, l'existence de ces grandeurs est distincte des lois de la physique.
On comprend comment les lois qui régissent l'interaction faible pouvaient exister avant même que les atomes et les molécules aient commencé d'exister dans l'univers parce qu'elles découlent, comme aurait dit Hume, d'un rapport nécessaire. Mais on ne comprend pas comment les constantes fondamentales pourraient préexister aux structures qu'elles gouvernent parce qu'il n'y a pas là de rapport nécessaire, à moins d'admettre le Principe anthropique fort avec une forte dose de téléologie.


5.6. La densité de l'univers

Un autre problème fascinant ayant une forte implication anthropique est celui de la densité de l'univers. L'homme est apparu très tôt dans l'histoire de l'univers. Par "tôt", nous entendons aussi "tôt" que possible, puisque nous savons que l'univers est vieux d'environ 15 milliards d'années. Les premiers homidés sont apparus il y a 1 million d'années, et l'histoire de l'évolution sur notre planète nous prouve qu'il n'aurait pas pu apparaître un million d'années plus tôt. Il en va de même de la vie.
La vie est apparue aussi tôt qu'elle a pu. Si pour un instant nous admettons l'hypothèse qu'il existe dans l'univers d'autres planètes semblables à la nôtre, la cosmologie nous montre que celles-ci ne peuvent pas être beaucoup plus ancienne que la nôtre. Cela montre que la vie en général, et plus tard la vie intelligente, sont apparues aussi tôt que possible. Si la vie était un phénomène due au hasard autant que certains le proclament, c'est alors une coïncidence étonnante que ce hasard se soit produit dès le moment où les conditions suffisantes étaient réunies, et non pas quelques millions d'années plus tard, voire quelques dizaines ou centaines de milliers d'années plus tard.
Si donc la vie existe sur d'autres planètes, elle ne peut pas être très en avance sur la nôtre. On peut même penser que c'est notre planète qui pour le moment est en avance sur le reste de l'univers. C'est précisément ce qui donne une haute signification anthropique au fait que l'univers soit âgé de quelques 15 milliards d'années.

Si nous adoptons la perspective du Principe anthropique fort, nous admettons que l'univers doit avoir cet âge pour permettre l'existence d'observateurs, or pour que l'univers puisse durer au moins 15 milliards d'années, il faut qu'il ait une masse critique minimale. Deux paramètres interviennent ici: le paramètre de Hubble H0 et Homéga 0 qui représente le ratio p0 / pc, où p0 représente l'énergie potentielle de l'univers et pc l'énergie cinétique de l'expansion [85].
D'après ce que nous savons aujourd'hui la valeur réelle de Homéga 0 est très proche de 1 (Homéga 0=1). Si Homéga 0 avait été inférieur à 1, la vitesse d'expansion de l'univers sera si rapide que la matière n'aurait jamais eu le temps de se condenser en étoiles et en galaxies. Si Homéga 0 avait été supérieur à 1, l'univers se serait recontracté bien avant que les étoiles ne puissent se former.
Pour que des observateurs puissent exister, il est donc nécessaire que notre univers ait une densité de matière telle que Homéga 0 puisse être égale à 1 ou être extrêmement proche de 1. Cette valeur de Homéga 0 paraît extrêmement particulière et logiquement improbable.
Son caractère de prime abord improbable ne l'est pas seulement au sens où les autres constantes universelles le sont, parce que les constantes sont des nombres choisis apparemment au hasard et qui se trouvent ensuite avoir des propriétés particulières, mais parce que, comme Alpha et Beta, Homéga 0 est un ratio. Mais à la différence de ? et ? qui impliquent des structures extrêmement petites, Homéga 0 implique la totalité de l'énergie qui se trouve dans l'univers. L'énergie totale de l'univers a été précisément calculée pour donner naissance au seul univers dont l'expansion et l'âge permettent l'existence d'observateurs.
Ceci suggère que le réglage de Homéga 0 est une donnée encore plus fondamentale que toutes les constantes universelles. Le caractère extraordinaire de la valeur de Homéga 0 ne tient pas seulement au fait que l'énergie cinétique de l'expansion équilibre l'énergie totale des particules qui existent, mais aussi au fait qu'au passage du mur de Planck à 10 puissance -43 seconde (le temps de Planck noté t indice p), la densité de l'univers devait être proche de 3H puissance 2 (t indice p) / 8 Pi G, qui représente une valeur extrêmement critique, avec une valeur pour H(t indice p) équivalente à t indice p puissance -1. Ceci suggère un état remarquable d'équilibre au temps de Planck pour respecter les termes de l'équation de Friedman [86], car cette équation implique une forte contrainte de conservation de l'énergie, exactement comme dans le ratio Homéga 0 nous trouvons une relation d'équivalence entre po et pc. Ceci entraîne une nouvelle coïncidence sur la densité de l'univers au temps de Planck que l'on note:



La vie ne peut se développer que si l'équation ci-dessus prend une valeur comprise entre 10 puissance -56 et 10 puissance -60 correspondant à Homéga 0 ~ 10 puissance -3 - 10.

L'étude des implications profondes de ces équations, et en particulier le problème de la "planitude" de notre univers, est en dehors du champs de notre étude. On peut comme toujours suggérer que l'équilibre entre l'énergie potentielle de l'univers et son énergie cinétique répond à une nécessité gouvernée par des lois encore inconnues, néanmoins les relations très étroites que ces problèmes de densité entretiennent avec d'autres caractéristiques particulières de notre univers suggèrent qu'il n'y a pas ici de place pour le hasard. Il montre à quel point l'univers capable de donner naissance à des observateurs est un univers très particulier


5.7. Les coïncidences anthropiques de l'hydrogène, de l'oxygène et de l'eau

L'énigme que présente le carbone n'est pas un cas unique. Il existe toute une chaîne de coïncidences qui lie la production des éléments les plus simples dans les premières minutes de l'univers soit à l'équilibre environnemental de notre planète, soit aux processus biochimiques qui jouent un rôle fondamental dans l'apparition de la vie. Il existe une littérature tellement abondante sur ce sujet que nous ne jugeons nécessaire ni de reconstituer cette chaîne continue de coïncidences, ni d'entrer dans le détail des démonstrations. Outre le carbone, la vie repose sur trois corps simples qui sont l'hydrogène, l'oxygène et le nitrate. Ces quatre corps peuvent éventuellement se combiner ensemble, et bien entendu, les combinaisons les plus importantes sont celles de l'oxyde de carbone et de l'eau. Nous nous bornerons ici à examiner le rôle que peuvent jouer l'hydrogène, le carbone et l'eau, sans prétendre à l'exhaustivité et uniquement à titre d'exemple.

L'atome d'hydrogène a seulement un électron qu'il peut échanger avec un autre atome. Ceci explique qu'il est le corps chimique le plus actif susceptible de donner plus de combinaisons qu'aucun autre corps en tirant partie de sa symétrie ambivalente et de ses propriétés électropositives lui permettant soit de former une liaison ionique en donnant son électron unique ou bien en formant un lien de covalence en recevant un électron. La très grande simplicité de l'hydrogène explique pourquoi les noyaux d'hydrogène lourd, ou deutérium, formés d'un neutron et d'un proton, furent les premiers à se former. Trois minutes après le Big-Bang, l'univers contenait déjà 73% d'hydrogène et 27% d'hélium. Le fait que l'élément le plus simple ait pu être produit très tôt et en très grande abondance a bien entendu une très grande signification.
On aurait pu très bien imaginer que les premiers atomes aient pu être plus lourd ou plus complexe et dans ce cas l'univers n'aurait pas pu aller plus loin. L'hydrogène et l'hélium constituait la brique parfaite qui permettait de commencer la construction cosmique. De plus, ces atomes allaient révéler, au fur à mesure de l'évolution cosmique, de nouvelles propriétés qui allait s'avérer toutes plus utiles les unes que les autres pour l'évolution universelle. En particulier l'hydrogènes a, avec l'hélium, le point de fusion de d'ébullition le plus bas de tous les corps connus et a la capacité de former un lien de covalence particulièrement fort avec le carbone. C'est cette propriété qui donne naissance au propriétés non-polaires de certaines molécules d'origine biologique [87].

Les propriétés de l'oxygène apparaissent tout aussi étonnantes et sont directement liées à l'évolution de la vie. L'oxygène est la cause des phénomènes de combustion et d'oxydation qui se trouve à l'origine de nombreuses réactions chimiques, ce qui explique que l'oxygène apparaît rarement à l'état libre dans la nature, sauf dans l'atmosphère terrestre où elle trouve sa source dans la photosynthèse végétale. La structure atomique de l'oxygène lui permet de former de forts liens de covalence avec de nombreux autres atomes [88].
Les molécules les plus abondantes sont bien entendu l'eau (H2O) et l'oxyde de carbone (CO2) qui jouent un rôle fondamental en biochimie. L'oxygène apparaît comme l'atome ayant des propriétés tout à fait particulières lui permettant de s'associer soit à l'hydrogène, l'élément le plus abondant de l'univers, soit au carbone, le produit de la nucléosynthèse qui se produit dans le coeur des étoiles en brûlant l'hydrogène et l'hélium et qui, pour cette raison même, est extrêmement abondant. Les processus de réaction liés à l'oxygène sont une des sources les plus importantes d'énergie pour les êtres vivants, ce qui explique que l'oxygène intervienne soit dans la photosynthèse, soit dans la respiration des animaux aquatiques ou terrestres.

Les propriétés particulières des atomes d'oxygène et d'hydrogène apportent bien entendu une contribution très importante aux propriétés tout aussi remarquables de ce produit unique qu'est l'eau. Cependant, l'eau possède également d'autres propriétés qui sont loin de s'expliquer par celles de ses composants. Parmi les propriétés particulières de l'eau, on peut remarquer sa température naturelle, sa tension de surface, son point d'ébullition et sa température de vaporisation, sa densité, sa conductivité thermique, ses propriétés physico-électriques, sa chaleur spécifique et son point de congélation.
Toutes ces propriétés particulières, dont la liste n'est pas exhaustive ont une très grande signification anthropique et jouent un rôle important dans l'apparition de la vie. On a vue que sans le carbone la vie ne pourrait exister. On pourrait dire la même chose de l'eau. La tentative de trouver un produit de substitution comme l'ammoniaque qui pourrait servir de base à un autre type de vie que celui qui existe sur terre ne fait que rendre plus improbable le développement d'une vie intelligente.

La plupart de ces propriétés sont liées à la structure atomique de la molécule et à la distribution des électrons autour des atomes qui la composent. Deux caractéristiques paraissent ici fondamentales, la liaison que les atomes d'hydrogène peuvent avoir avec d'autres atomes, et la forme géométrique de la structure atomique de la molécule d'eau.

L'atome d'hydrogène est le seul atome capable de former un lien très fort avec d'autre atomes, c'est pourquoi on appelle ce lien " le lien hydrogène". La force de ce lien explique qu'il faut beaucoup plus d'énergie pour porter l'eau à ébullition que d'autres structures similaires où les molécules ne sont liées que par le lien de Van der Waals. Si le lien hydrogène n'existait pas, le point d'ébullition et la température de vaporisation, tout comme le point de fusion, serait entièrement dépendant du poids atomique de la molécule. Dans ce cas, le point d'ébullition de l'eau devrait se trouver en dessous de -100°c, voire proche de -200°c comme le méthane [89]. Le point de vaporisation se trouve également beaucoup plus élevé que pour n'importe quelle autre substance à 538 cal/gr alors que la substance la plus proche, qui se trouve être le sulfure nécessite seulement 362 cal/gr [90].

Dans la molécule, les deux atomes d'hydrogène se répartissent autour de l'atome d'oxygène et forment avec lui un angle de 104,5° proche de l'angle tétraèdre idéal (109,5°), ce qui permet à l'eau de former des structures polymères de forme quasi tétraèdrales combinant les liaisons de covalence avec les liaisons hydrogènes.
La position de l'atome d'oxygène explique que la densité se concentre autour de cet atome et qu'ainsi les atomes d'hydrogène peuvent plus facilement attirer d'autres atomes d'oxygène pour former un lien directionnel avec eux. Le lien hydrogène, combiné avec la forme géométrique, explique pourquoi la molécule d'eau est la seule molécule qui soit plus lourde à l'état liquide qu'à l'état solide. Ceci explique pourquoi la glace flotte.
A basse température les liens intermoléculaires sont rigides et chaque molécule ne peut établir de liaison qu'avec quatre voisines, alors que ce nombre augmente à l'état liquide. Le fait que la glace flotte a été fondamental dans le développement de la vie. Car si dans les périodes de glaciation, la glace était tombée au fond des océans, ceux-ci auraient fini par geler complètement et jamais la température terrestre n'aurait pu se réchauffer. La terre serait devenue un désert gelé.

Tous ces aspects expliquent les différentes propriétés thermiques de l'eau qui jouent un rôle fondamental dans l'environnement terrestre comme dans les processus biologiques ou biochimiques de la vie. L'eau est un remarquable accumulateur de chaleur avec une conductivité thermique plus élevée qu'aucun autre liquide. L'eau joue donc un rôle fondamental pour l'équilibre thermique de notre planète, comme elle joue un rôle fondamental pour l'équilibre thermique des êtres vivants. Certaines molécules biochimiques n'auraient jamais pu se former si l'eau ne leur avait offert un milieu ayant juste la température requise.

L'eau a également des propriétés électriques particulières, telle la valeur de sa constante diélectrique qui mesure la réduction de force entre deux unités de charges comparée à un vide possédant une constante diélectrique de 1. La valeur de cette constante est l'une des plus élevées qu'on connaisse, ce qui permet à l'eau de dissocier les constituants ioniques de certaines molécules polaires.
Ceci explique le grand pouvoir de solubilité de l'eau sur ces substances, ainsi que sa capacité à être fortement ionisée, ce qui permet une accélération d'un grand nombre de réactions chimiques en milieu aqueux. Quant aux molécules non polaires, elles peuvent être dissoutes dans l'eau en formant un lien hydrophobique où les molécules d'eau emprisonnent la molécule étrangère en suivant un arrangement géométrique bien particulier.
Cet effet hydrophobique joue un grand rôle dans la formation de molécules essentielles à la vie comme les enzymes et les acides nucléiques [91]. C'est la forme des enzymes qui rend ces molécules capable de catalyser certaines réactions biochimiques à l'intérieur des cellules vivantes. La structure enzymaire ayant un côté polaire et un côté non polaire, l'effet hydrophobique peut modifier la forme de ces molécules en fonction des besoins. Cela conduit également ces molécules à s'agréger ensemble, conduisant au processus qui produit les micelles qui sont le premier élément constituant la paroi d'une membrane biologique; d'où la théorie selon laquelle la production de micelles libres a été une étape entre l'apparition des enzymes et le développement des premiers êtres vivants monocellulaires. Le pouvoir solvant de l'eau est absolument unique et la proportion d'eau qui existe dans tout corps vivant montre bien quel rôle fondamental joue l'eau dans l'apparition de la vie, dans sa conservation et même dans l'évolution d'être de plus en plus complexe.

L'eau est une molécule tout à fait différente de toutes les autres molécules. Bien qu'on puisse expliquer les raisons physiques pour l'existence de la plupart de ces propriétés, l'ensemble n'en forme pas moins une extraordinaire coïncidence anthropique qui montre que même si la vie est le produit d'un hasard, ce hasard n'est pas du à des conditions particulières régnant sur notre planète ou dans une quelconque région de l'espace, ni même à une coïncidence survenue dans le développement de la physique et de la chimie stellaire, mais remonte aux conditions initiales de l'univers, c'est-à-dire avant le temps de Planck.
Ce qui semble encore plus difficile à expliquer, c'est le fait qu'un très petit nombre de coïncidences initiales a pu produire un si grand nombre de coïncidences secondaires qui toutes s'avèrent favorables au développement de la vie. Nous ne souhaitons pas ici prolonger l'étude de ces coïncidences, mais on pourrait en relever un grand nombre d'autres qui concernent également les substances indispensables à la vie comme le nitrogène et ses composé, ou le chlorure de sodium. A force d'enregistrer les coïncidences, on en vient à s'interroger sur la manière dont toutes ses coïncidences ont pu se produire sans qu'une contradiction ne survienne et mette à bas tout le fragile équilibre qui permet la vie. Ces coïncidences supposent un principe d'harmonisation qui, s'il existait, serait forcement téléologique et donc anthropique.


5.8. Les constantes universelles et le problème philosophique de la contingence

La plupart des coïncidences dans l'ordre de la nature, qui depuis le XVIIe siècle n'ont pas manqué de frapper les observateurs scientifiques, résultent effectivement d'une nécessité qui est le fruit de l'équilibre entre les quatre grandes forces qui régissent notre univers. Cet équilibre nécessite des contraintes très importantes dans l'architecture universelle qui peuvent expliquer la plus grande partie de l'harmonie que l'on observe dans l'univers. Néanmoins, on peut démontrer que l'ordre de l'univers n'en reste pas moins contingent, car aucune nécessité décelable ne semble avoir présidé à la sélection des constantes universelles, car celles-ci ne sont engendrées par aucune loi de consistance décelable. Rien n'eût pu empêcher ces constantes de varier. Il y aurait eu toujours un univers, mais cet univers serait stérile. Nous en revenons donc toujours à la même question. "Pourquoi l'univers existe-t-il tel qu'il est et pas autrement?"

Répondre à cette question nécessite que nous déterminions également la réponse à de nombreuses autres questions qui n'ont rien de scientifiques et qui deviennent souvent autant d'acte de foi. Celle concernant la rationalité de l'univers en est bien sûr la plus importante, mais elle est loin d'être la seule. Réduire le nombre de coïncidences apparentes dans l'architecture universelle nécessite déjà une foi affirmée dans le Principe anthropique faible, ce qui suppose que les postulats sur lesquels il repose soient déjà admis, car la seule preuve que l'on peut donner en faveur de la légitimité d'un tel raisonnement réside dans son efficience. Cependant, d'un point de vue strictement scientifique, on ne pourra jamais être sûr que cette efficience n'est pas le fruit d'une illusion anthropique résultant d'un principe de sélection qu'impose notre point de vue d'observateur intérieur à l'univers.

Finalement, si le Principe anthropique faible permet de réduire un très grand nombre de "coïncidences", il ne peut les éliminer toutes. Seule la découverte d'un principe de rationalité universel et transcendant qui éliminerait la contingence de notre univers permettrait de franchir ce pas. Tant que la contingence demeure, nous devons accepter qu'il existe un certain nombre de grandeurs caractéristiques, dont le choix paraît purement arbitraire, mais qui ont l'heureux effet de concourir à notre existence en rendant notre monde habitable. Ce sont ces grandeurs caractéristiques qui peuvent être justifiées (mais non expliquées) en fonction d'un Principe anthropique fort. De ce point de vue, les Principes anthropiques faible et fort apparaissent non comme des concurrents, mais comme des principes complémentaires représentant deux types d'approche dirigée vers l'analyse de phénomènes qui ne sont pas de même nature. Les uns sont l'expression de la rationalité universelle, les autres de la contingence.


5.9. Les constantes de l'univers et le problème de l'harmonie universelle

L'harmonie qui règne dans l'univers a été l'objet de réflexion dès que l'homme a été en état de penser et les plus vieux textes de l'histoire de l'humanité abondent déjà en considérationssur ce sujet. De tout temps, les hommes ont vu dans cette harmonie des arguments qui prouvaient que l'univers obéissait à un dessein préétabli qui ne pouvait être, à leurs yeux, que l'expression d'une intelligence supérieure et transcendante.
La science moderne nous a permis de comprendre que l'harmonie universelle n'est pas simplement immanente à l'ordre de l'univers, ni même directement voulue par une intelligence transcendante, mais résulte de jeux de facteurs géométriques, de rapports architectoniques et de constantes naturelles. Cette nouvelle perspective a complètement bouleversé la question de l'harmonie de l'univers qui a ainsi complètement changé de nature depuis le siècle des Lumières et le scientisme du XIXe siècle.
Il ne s'agit plus d'un débat pour ou contre l'existence d'un grand dessein, ni même d'un débat entre les conceptions téléologiques et les partisans du hasard et des mécanismes autorégulateurs. Nous savons maintenant que l'harmonie qui règne dans la nature n'est pas le fruit d'une illusion, et le fait que le soleil se lève chaque jour ne nous surprend plus parce que nous savons que cette harmonie est l'expression de lois bien précises. Mais le mystère ne s'est pas éclairci pour autant.
On peut même dire qu'il s'est obscurci. L'harmonie universelle que nous voyons régner ne se confond plus avec l'ordre du monde. Elle est le produit d'un ordre plus fondamental et plus mystérieux qui s'étend depuis le niveau des particules fondamentales, tel que quarks et neutrinos, jusqu'aux corps célestes les plus grands comme les super-amas de galaxies.
Or, cet ordre repose sur un ensemble de paramètres que nous avons la capacité de mesurer, tels les facteurs géométriques comme 2Pi, des constantes comme la constante de Planck ou la charge de l'électron, et des ratios comme celui qui rapporte l'électron à la masse du proton. La véritable question que l'on distingue maintenant au coeur du problème de l'harmonie universelle est celle de comprendre la véritable nature de ces facteurs géométriques ainsi que le processus de sélection des constantes et les relations qui les lient entre eux. On peut à ce propos distinguer six hypothèses:

-Hypothèse 1: Chaque constante fondamentale a une existence indépendante et résulte d'un processus de sélection qui a son origine dans les lois qui gouvernent les phénomènes complexes non déterministes.

-Hypothèse 2: Les constantes fondamentales sont le produit de lois physiques qui sont encore inconnues de l'homme, mais dont la nature et l'intelligibilité ne diffèrent pas fondamentalement des lois que nous connaissons.

-Hypothèse 3: Les constantes fondamentales forment un système complexe dans lequel chacune est étroitement liée à toutes les autres. De ce fait, certaines constantes sont plus fondamentales que d'autres et celles qu'on peut appeller constantes secondes, en sont dérivées. Le problème revient à trouver quelles sont les constantes qui sont vraiment fondamentales et déterminer leurs liaisons avec les lois de la physique (cf. hypothèses 1 et 2)

-Hypothèse 4: Le problème des constantes de l'univers ne diffère pas de celui des grandeurs géométriques et de celui des relations mathématiques. L'un et l'autre sont le produit d'un rapport nécessaire entre les choses qui préexistent à l'univers physique et qui se trouve dans un univers purement intelligible dont le monde physique est la manifestation.

-Hypothèse 5: Les constantes fondamentales de l'univers ont été sélectionnées par une intelligence extérieure à l'univers de manière à ce que l'univers connaisse une évolution qui puisse permettre l'apparition d'observateurs intelligents.

-Hypothèse 6: Les constantes fondamentales sont le produit de lois qui gouvernent un niveau de la réalité plus fondamental que tout ce que l'homme peut avoir accès et sont par conséquent inintelligibles.

On remarquera que les hypothèses 1 à 5 ne sont pas mutuellement exclusives. Bien que les Hypothèses 1 et 2 semblent opposées, on peut même imaginer des modèles qui les combinent. Le problème de la science est que, fondamentalement, nous ne savons pas ce que sont les constantes, ce qui les détermine, et les rapports qui existent entre elles. On peut bien entendu revenir à l'hypothèse de Hume. Mais de nombreux problèmes surgissent alors. Le premier réside dans le fait que le nombre de constantes est limité.
On ne peut donc faire intervenir les systèmes autorégulateurs qui gouvernent la complexité. Le second problème est que les constantes paraissent aussi fondamentales que les lois de la physique. Même dans les hypothèses où elles auraient varié dans le temps, se serait pour accompagner une évolution, non dans un processus de réglage et d'ajustement. Enfin, mieux connaître les rapports qui relient les constantes entre elles peut aider à réduire le nombre de coïncidences; mais même si nous réduisions toutes les constantes à deux grandeurs vraiment fondamentales, il faudrait encore expliquer comment ces grandeurs ont été sélectionnées.
Les lois de la logique nous apprennent que c'est probablement impossible. Comme nous l'avons dit, plus notre connaissance des constantes progresse, plus le mystère s'épaissit. Lorsque nous étions confrontés à un grand nombre de coïncidences, les partisans du dessein et les partisans du hasard disposaient d'un nombre à peu près égal d'arguments, et c'était plus le sentiment qui faisait opiner dans un sens ou un autre. Face au problème des constantes, l'argument du hasard disparaît complètement.
Seul subsiste l'argument de la nécessité et l'argument de la contingence. Il y a d'une part ceux qui se bornent à constater qu'il y a une nécessité et qui se refusent à penser au-delà en soutenant qu'autrement ils sortiraient de leur rôle scientifique, et d'autre part ceux qui désirent penser au-delà et qui tombent délibérément dans la métaphysique. La frontière qui délimite ces deux attitudes délimite également la frontière qui passe entre le Principe anthropique faible et le Principe anthropique fort. Mais la position du second groupe n'est plus antithétique; elle est complémentaire.

Les constantes ont entre elles une extraordinaire cohérence qui, comme nous l'avons dit, ne laisse aucune place au hasard, et qui suggère quelles sont reliées entre elles d'une manière ou d'une autre. Non seulement on peut maintenant calculer de manière très précise que le modèle d'univers dans lequel nous vivons est pratiquement le seul possible susceptible de donner naissance à une vie intelligente, mais on peut encore montrer que pour qu'un univers stable puisse exister, les valeurs des constantes ne peuvent s'écarter sensiblement des valeurs que nous pouvons constater expérimentalement. Le nombre d'univers possibles qui soient à la fois stables et durables est extrêmement limité. Le nombre d'univers susceptible d'engendrer la vie est égal à 1, et nous vivons dans celui-ci.


5.10. Le problème des constantes universelles par rapport à la métaphysique baha'ie

Si donc le Principe anthropique permet de réduire un grand nombre de coïncidences en montrant que ces coïncidences s'expliquent dans une fin qui est l'évolution d'observateurs conscients et intelligents, nous avons vu qu'il ne peut éliminer, même de cette manière, et même en faisant l'hypothèse de lois de la physique et de la cosmologie encore inconnues, le caractère extraordinaire de certaines constantes.
Bien entendu, on peut toujours imaginer que ces constantes plus fondamentales que les autres, ont été choisies par une intelligence extérieure à l'univers. Mais si on imagine que cette intelligence est comme l'Ens quo majus cogitari non potest de Saint Anselme, on peut se demander si un tel être n'aurait pas pu trouver un moyen plus simple qu'un tel choix arbitraire de grandeurs fondamentales pour amener l'univers à l'existence.
Si pour un moment on admet qu'un tel Être existe, alors pour être l'Être vraiment le plus grand, il devrait être capable de mettre en place un principe unique de sélection de ces constantes universelles, de même qu'une seule force est à l'origine des quatre forces qui gouvernent toutes les formes d'énergie, et de même que toutes les lois de la physique semblent remonter à une loi unique.
Si on poussait dans ses ultimes conséquences le monisme épistémologique qui semble inspirer les Écrits baha'is, on serait tenter de penser que les constantes, les forces et les lois de l'univers sont déterminées par un principe de sélection qui est unique et commun. On pourrait presque dire qu'un Être transcendant, s'il n'était capable de mettre en place un tel principe de sélection ne serait pas l'Ens quo majus cogitari non potest. Dans ce cas, on ne pourrait pas considérer l'existence apparemment aléatoire de constantes universelles comme une preuve décisive de l'existence de Dieu.
C'est pourquoi, même du point de vue de la philosophie baha'ie, un tel raisonnement est douteux. Certes, plus nous comprenons les principes architecturaux de l'univers, plus notre émerveillement grandit, et cette émerveillement conduit à voir dans l'harmonie universelle le reflet d'une intelligence transcendante.
C'est exactement ce qu'affirme Baha'u'llah dans ses Écrits. Mais il s'agit là d'un sentiment mystique et non d'une preuve qui convainc par sa force irréfutable. Le mystique dira qu'il peut parvenir au même résultat en regardant une rose. Une rose est aussi quelque chose qui inspire à l'homme un sentiment d'ineffable beauté, qui est le produit d'une science quasi insondable, et qui reflète une perfection dont on peut également dire qu'elle est l'oeuvre d'une intelligence transcendante.

Si maintenant nous posons l'hypothèse qu'il existe bien un principe unique de sélection qui détermine à la fois les constantes et les lois de l'univers, la question se pose de son statut épistémologique. On remarquera que les différentes possibilités concernant ce principe premier sont relativement indépendantes du fait que ce principe soit ou non l'oeuvre d'une intelligence transcendante. La question est donc essentiellement philosophique. Mais cette question apparemment philosophique a des implications profondes pour toute métaphysique.

La première interrogation que nous pouvons poser consiste à déterminer si ce principe premier serait encore compris dans les limites de notre univers ou s'il lui est extérieur. On pourrait penser que s'il est dans notre univers il appartient au domaine de la science, et s'il est en dehors de notre univers il appartient au domaine de la métaphysique. En fait, les choses sont moins simples. Il nous faut comprendre d'abord ce que nous entendons par "univers" et ensuite préciser la notion d'intérieur et d'extérieur.
Par "univers" les premiers physiciens ont commencé par comprendre tout l'univers sensible. Par sensible, on commençait par entendre ce qui était sensible au sens, puis on est venu à entendre ce qui était sensible également aux appareils de mesure. L'inconvénient de cette définition, c'est qu'elle oppose "sensible" à "intelligible" or le statut de ce que pourrait être le monde intelligible est de moins en moins clair.
En effet, le concept de monde intelligible comprend aussi bien des réalités non sensibles mais conceptualisables, tels par exemple les nombres, que des réalités non sensibles et non conceptualisables, telles par exemple ce que dans les Écrits baha'is on appelle "les réalités spirituelles".
L'homme n'a pas encore trouvé les limites de l'univers. La physique a connu une première crise lorsqu'on a compris que l'énergie était plus fondamentale que la matière. Pendant la plus grande partie du XXe siècle, les physiciens se sont alors mis à la recherche des particules qui pouvaient être véritablement considérées comme fondamentales. Puis on a commencé à entrevoir que le monde des particules n'était peut-être pas le niveau le plus fondamental de la réalité. c'est ainsi qu'on a découvert le vide quantique.
Mais rien ne nous assure que le vide quantique soit lui-même ultimement le niveau le plus fondamental de la réalité. Or, on s'aperçoit déjà, en considèrent certains aspects du monde des particules et du vide quantique, que la distinction entre sensible et intelligible tend de plus en plus à disparaître.
Dans ses Écrits, Baha'u'llah parle d'un méta-univers qu'il appelle le "Monde imaginal" ('alam al-mithal) qui assure l'interface entre le monde spirituel et le monde matériel et il parle également d'un "point de coalescence" (taqyid) à partir duquel les réalités sensibles émergent du monde spirituel. Ses Écrits suggèrent qu'il il y a continuité entre le monde matériel, le monde imaginal et le monde sensible qui ne différent que par des modes ontologiques propres. Dans une telle perspective, qui rappelons-le est hautement spéculative, nous serions tenté de placer le principe premier de sélection des lois et des constantes dans le Monde imaginal.

La seconde question qui se pose à nous consiste à déterminer si le principe premier de sélection est encore dans le champs de l'investigation scientifique et dans le champs de l'intelligibilité humaine. Il est peu probable que l'on puisse un jour exprimer ce principe premier sous forme d'une équation ou d'une formule. Ce principe doit être purement intelligible, on doit donc exclure qu'il contienne rien de mesurable. Il doit également être simple. Il n'existe pas donc de principe plus simple pour le décomposer. En tant que tel, il doit donc se situer hors du champs de la rationalité humaine.
Cependant, cela ne veut pas dire qu'il soit totalement hors du champs de la science. Jusqu'ici il y a très peu de temps la science ne connaissait que les objets directement observables soit par l'homme, soit par des appareils de mesure. Mais le vide quantique n'est pas mesurable. On ne connaît le vide quantique que par ses effets. On peut donc imaginer qu'on puisse appréhender le principe premier de sélection à partir de certains phénomènes observables, ou à partir de certaines relations que l'on commence à entrevoir lorsqu'on étudie le problème des constantes universelles.



Notes

80. Jacque Monod, Le Hasard et la nécessité, Paris, 1970.

81. Trinh Xuan Thuan, op. cit., p. 296.

82. Trinh Xuan Thuan, op. cit., p. 288.

83. En simplifiant on peut donc écrire t*= (Énergie nucléaire/ L*) et L*= (Énergie de radiation/Temps pour échapper du centre de l'étoile).

84. Barrow et Tipler, op. cit., pp. 250-253.

85. L'âge de l'univers (t indice u) nous est donné par l'équation: t indice u = H indice 0 puissance -1 f (Homéga 0). Tout au long de notre raisonnement nous considérerons que nous sommes dans un univers de type friedmanien.

86. L'équation de Friedman s'écrit (R puissance 2 / 2) - (4p/2) Gr R puissance 2 = (-k/2)

87. Barrow et Tipler, op. cit., pp. 542-543.

88. Barrow et Tipler, op. cit., pp. 543-544

89. Barrow et Tipler, op. cit., p. 525

90. ibid. p. 537

91. ibid. pp. 538-539

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