Les voies
de la liberté
Par Howard Colby IVES
(pasteur de l'Eglise Unitaire à la rencontre d'Abdu'l-Baha en 1912)
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Chapitre 7. Le mariage dans l'ordre mondial de Baha'u'llah,
le mariage, lien éternel, nécessité de réviser les lois du divorce, les lois
de Baha'u'llah, quatre genres différents d'amour, les enfants de l'ère nouvelle
"Il est donc
évident que dans le monde humain, l'amour est roi et souverain tout puissant.
Si l'amour disparaissait, si la force d'attraction entre les êtres s'affaiblissait,
s'il n'y avait plus d'affinités entre les coeurs, le phénomène de la vie humaine
disparaîtrait.".
Abdu'l-Baha ("Promulgation of Universal
Peace", page 250)
En étudiant la manière dont l'institution du mariage s'est développée, il est
intéressant de noter que, depuis la promiscuité des temps préhistoriques jusqu'à
la monogamie plus ou moins établie actuellement dans presque tous les pays civilisés,
les progrès accomplis ont suivi la courbe exacte du développement moral et spirituel
de la race. De plus, ce développement a coïncidé avec l'apparition et les enseignements
des grands prophètes et messagers de Dieu.
On sait peu de chose sur les coutumes et relations matrimoniales des différents
peuples antérieurement à la venue de Moïse, Bouddha, Jésus et Muhammad. Mais
il semble bien qu'il y avait eu avant eux plus de relâchement et d'immoralité
dans les moeurs.
On peut donc s'attendre à ce que la révélation de Baha'u'llah, mise en pratique
par Abdu'l-Baha, établisse des lois à ce sujet et prescrive des règlements basés
sur les principes éternels de spiritualité et adaptés aux besoins d'une civilisation
mondiale plus avancée qu'aucune autre connue jusqu'à ce jour.
Car les préceptes de Baha'u'llah ont essentiellement trait à la réalité de l'homme
et à sa position en tant que créature immortelle et éternelle dans un univers
infini, régi et dirigé par des lois immuables ayant pour base la justice et
la vérité.
Le mariage est donc, sous le régime baha'i, un lien éternel. Un seul mariage
compte réellement et cette union se perpétue dans tous les mondes de Dieu.
Par conséquent, une législation entièrement nouvelle est nécessaire pour régler
non seulement le mariage, mais aussi le divorce. Car l'homme, n'ayant pas encore
atteint l'âge de la maturité et subissant encore l'influence du désir et des
passions, fait de nombreuses erreurs en choisissant sa compagne, et ces erreurs
doivent être rectifiées aussi vite et aussi simplement que possible.
Quand deux êtres vivent ensemble dans la contrainte d'une intimité où l'harmonie,
la coopération, le bonheur, le véritable et éternel amour sont devenus impossibles,
c'est un défi à une loi fondamentale de la révélation baha'ie, la loi d'unité.
Dans ce cas, il est non seulement admissible mais urgent que les liens d'une
aussi fausse union soient rompus. Le recours au divorce deviendra du reste chose
extrêmement rare quand la race aura subi plus fortement l'influence de tous
les préceptes divins. Lorsque l'homme aura compris la joie suprême de la véritable
union physique et spirituelle, il ne se contentera plus d'un mariage médiocre.
En outre, les lois formulées par Baha'u'llah sont une telle sauvegarde, et Abdu'l-Baha
les a si bien expliquées que l'opinion publique en imposera graduellement l'observance
à mesure que l'expérience aura prouvé leur efficacité à procurer le bonheur
aux hommes et à le perpétuer.
En 1912, quand Abdu'l-Baha séjournait en Amérique, il saisit maintes occasions
pour insister sur le caractère sacré des liens du mariage et pour indiquer par
des exemples et des préceptes quelle doit être à cet égard l'attitude observée
par les baha'is.
La plus notable de ces occasions fut la cérémonie de mariage du 17 juillet 1912
où Harlan Ober et Grace Robarts furent unis par Abdu'l-Baha en personne, et
selon la loi de Baha'u'llah.
Abdu'l-Baha me demanda de lui prêter mon concours pour accomplir les rites nécessaires
au point de vue légal "afin que la loi du pays fût observée".
Ce n'est pas chose facile de raconter cette scène à ceux qui persistent à concevoir
notre monde et ses affaires comme une entité complète et non comme le prélude
d'une vie plus haute et plus libre, car l'idée dominante était celle d'éternité
et nous étions baignés dans une atmosphère de libération et de sérénité.
J'embrassais du regard ce salon magnifiquement meublé qui évoquait toutes les
plus belles choses de notre culture moderne et qui, en même temps, renfermait
dans ses murs des représentants de Paris, Berlin et Londres, de Téhéran et Qom
(Perse), Bombay (Inde), Bakou (Russie) et Haïfa (Palestine), un nombre respectable
de représentants de la race noire et environ un centaine de mes propres concitoyens.
Un tel spectacle me donna la conviction que je participais à un événement faisant
époque dans l'histoire des hommes. Car ici se trouvaient réunis, dans toute
leur diversité, des représentants du monde entier, occupant tous les degrés
de l'échelle sociale, tant au point de vue des biens matériels que de la culture
intellectuelle et spirituelle.
Ici, en vérité, l'Orient était réuni à l'Occident pour assister à la préfiguration,
à la réalisation symbolique et annonciatrice d'un élément fondamental du futur
ordre social qui, selon le plan mondial de Baha'u'llah, constituerait le royaume
de Dieu sur la terre.
La figure du Maître, revêtu de sa robe blanche, dominait la scène. Depuis l'âge
de sept ans, on lui donnait ce titre de Maître, selon le voeu que Baha'u'llah
lui-même avait exprimé. Son droit à ce titre n'était basé sur aucune prétention
personnelle à l'autorité ou à la supériorité. Ses manières étaient toujours
pleines d'humilité et de gracieuse déférence. Cependant, dans toutes les maisons
où il entrait, il était l'hôte ; c'était lui le centre de toutes les réunions
; on le prenait pour arbitre dans toutes les discussions, et il apportait la
solution de tous les problèmes.
Ceci n'était l'effet ni de son désir ni de sa volonté. Bien au contraire. "Abdu'l-Baha
est un serviteur". Telle fut sa réponse calme et décisive quand on lui demanda
d'accepter la présidence d'honneur de l'assemblée baha'ie de New-York (une des
premières parmi les soixante-douze "maisons de justice" en Amérique,
destinées à devenir ultérieurement des unités du gouvernement national selon
le plan de Baha'u'llah).
Néanmoins, on ne pouvait demeurer plus d'un instant en sa présence, sans remarquer
que chez lui chacun de ses actes, gestes, paroles et intonations étaient empreints
d'une telle sagesse, d'une si courageuse et tranquille certitude en même temps
que d'une si humble courtoisie envers son interlocuteur, que la vérité décisive
s'imposait a tous ceux qui le voyaient et l'écoutaient. Comme Abdu'l-Baha l'a
dit à propos de Baha'u'llah affrontant ses détracteurs et ses adversaires :
"Comment l'obscurité peut-elle persister en présence de la lumière ? Une
mouche attaquer un aigle ? L'ombre défier le soleil ?". Ainsi donc, dans
cette assemblée de gens qui croyaient à une ère nouvelle dans l'évolution de
la conscience humaine, à une nouvelle époque où cette conscience s'imprégnerait
d'éléments divins, nous le regardions comme le Maître de notre destinée, comme
le guide unique qui, dans ces temps de superstitions anciennes et de folies
modernes, nous conduirait hors du labyrinthe humain, dans la glorieuse liberté
des enfants de Dieu.
J'étais assis tout près de lui et, naturellement, je concentrais toutes mes
facultés, mes yeux, mes oreilles, mon esprit et mon coeur sur cette rayonnante
personnalité. Et beaucoup d'autres faisaient comme moi. Lui seul était digne
d'attention, lui seul satisfaisait toutes nos aspirations.
Après la cérémonie, très simple, du mariage et le retour des mariés à leur place,
Abdu'l-Baha se leva. Son aba (manteau) d'un blanc crémeux, tombait en plis gracieux
jusqu'à ses pieds. Il portait un tarbouch ou fez de même couleur, posé sur ses
longs cheveux blancs qui descendaient jusqu'à ses épaules. Mais ses yeux, surtout,
nous impressionnaient. Ils étaient bleus et changeaient sans cesse d'expression
selon son humeur. Tantôt empreints de douceur, de charme ou d'autorité, tantôt
étincelants d'une flamme intérieure, tantôt calmes et sereins comme s'ils contemplaient
de glorieuses et lointaines images.
Au-dessus de ces grands yeux profonds, son front bombé semblait sculpté dans
l'ivoire. Sa barbe, d'une coupe nette et d'un blanc de neige, descendait jusqu'à
sa poitrine, mais autour de sa bouche, aucun poil n'ombrageait les lèvres mobiles.
Selon son habitude, il parlait par l'entremise d'un interprète. Non pas tant
qu'il fût incapable de s'exprimer en anglais, mais parce qu'il fallait prendre
des précautions pour éviter les interprétations erronées. Chaque mot qu'il prononça
durant son séjour en Amérique, fut transcrit tout de suite en langue persane
par un secrétaire persan ainsi que par un sténographe américain selon la traduction
de l'interprète afin que, dans les temps futurs, quand les millions de discours
et d'écrits de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha seront traduits et rédigés en code,
aucun doute ne puisse s'élever sur l'authenticité de leurs paroles et sur leur
double transcription.
Il parcourut la pièce d'un regard à la fois enveloppant et détaché, leva les
mains, paumes en dehors, à la hauteur de sa taille, ferma les yeux et psalmodia
une prière pour ces deux âmes que nous venions d'unir, lui et moi.
Lui, ce matin-là, les avait unies selon les lois du nouvel ordre mondial au
sein duquel l'esprit humain doit apprendre à évoluer harmonieusement dans le
cadre des choses éphémères qui l'environnent. Moi, je les avais unies, ce soir,
en ma qualité de représentant d'un régime à son déclin, dont les pratiques les
plus sacrées sont influencées par des superstitions anciennes et des pierres
de touche périmées, mais qu'il faut respecter cependant, pour suivre la coutume
"afin de ne porter offense à personne".
Le souvenir le plus intense que j'aie gardé de cette soirée est cette prière
chantée par Abdu'l-Baha, d'une voix aux accents incomparables. Quoique l'expression
"une douceur de miel" soit inadéquate, ce serait le terme le plus proche
pour en décrire le charme. Bien qu'Abdu'l-Baha employât la langue persane, qui
m'était évidemment inconnue, j'avais néanmoins l'impression de comprendre, à
tel point que la traduction de l'interprète me produisait une sorte de choc.
Est-il besoin de traduire le langage qui s'adresse à l'esprit ? Et brusquement,
comme dans un éclair, je compris ce qui s'était passé au jour lointain de la
Pentecôte où chaque auditeur entendait les paroles des disciples dans sa propre
langue.
L'histoire suivante fournit encore un autre exemple de ce phénomène spirituel.
Pendant le séjour d'Abdu'l-Baha à San-Francisco, un mineur illettré fit un long
voyage à pied pour venir le voir. Cet homme sans culture avait cependant de
grandes aptitudes spirituelles. Il entendit parler Abdu'l-Baha dans une réunion
et sembla subjugué par les paroles rythmées et mélodieuses qui tombaient de
ses lèvres. Quand l'interprète reprit la phrase en anglais, le mineur sursauta
comme s'il s'éveillait brusquement et il murmura : "Pourquoi est-ce que cet
homme l'interrompt ?" Alors Abdu'l-Baha reprit la parole, et de nouveau,
le visiteur parut l'écouter avec une attention absorbante. Mais à la première
pause, I'interprète se remit à traduire. Le mineur ne put contenir son indignation
: "Pourquoi permet-on à cet homme d'interrompre ? On devrait le mettre à
la porte" ! Un de ses voisins lui expliqua que c'était l'interprète officiel
et qu'il traduisait du persan en anglais. "Parlait-il donc en persan ?, demanda
naïvement le mineur, tout le monde pouvait comprendre ce qu'il disait".
Quant à moi, mon coeur était beaucoup plus touché par cette voix chantante et
ces phrases musicales que par la traduction de cette prière de mariage, pourtant
admirable :
"Gloire à Toi, ô mon Dieu ! En vérité, ton serviteur et ta servante que voici
se sont placés sous l'ombre de ta miséricorde et ils se sont unis par ta faveur
et à ta générosité. O Seigneur ! Assiste-les en ce monde qui T'appartient et
en ton royaume, et par ta générosité et ta grâce, réserve-leur tous les biens...
Permets-leur de devenir, jusqu'à la fin des temps, des symboles d'harmonie et
d'unité. En vérité Tu es l'Omnipotent, l'Omniprésent et le Tout-Puissant !".
Comme je l'ai dit plus haut, dans le nouvel ordre social de Baha'u'llah, le
mariage est basé sur une conception plus noble de la destinée humaine qu'il
ne l'a jamais été auparavant, et voici pourquoi : durant les mille neuf cents
années de doctrine chrétienne, les aptitudes spirituelles de la race se sont
développées, de sorte que l'homme est arrivé à comprendre jusqu'à un certain
point la place qu'il occupe dans l'univers. Les apparitions des manifestations
de Dieu n'ont pas d'autre but que d'élever la conscience des hommes à un niveau
supérieur. Voilà une des significations du mot ciel tel qu'il fut employé par
les prophètes de Dieu ["Le Livre de la Certitude", Baha'u'llah]. Les
préceptes de l'éternel esprit du Christ (sous quelque nom qu'il se lève à l'horizon
de l'histoire) exaltent l'âme des vrais croyants et les portent à cet état de
conscience supérieur. Il est donc essentiel qu'à chaque nouvelle révélation,
les principes éternels réitérés par chaque messager de Dieu soient clarifiés
et expliqués de manière à s'appliquer efficacement aux problèmes de l'heure
présente. C'est ainsi qu'à sa venue, Jésus abrogea la loi mosaïque relative
au divorce. Celle-ci, en effet, convenait parfaitement à la vie nomade des Hébreux
et aux siècles d'esclavage qu'ils avaient subis en Egypte dans le passé. Mais
quand les conditions de vie changèrent dans le monde romain et sous l'influence
sacerdotale des pharisiens et des prêtres, cette loi mosaïque donna lieu à de
tels abus qu'elle devint un objet de risée. Il est clair que, actuellement,
on observe la lettre des préceptes du Christ relatifs au mariage, mais qu'on
néglige totalement leur esprit. En Amérique où, soi-disant, règne l'ordre social
chrétien, le caractère sacré du mariage est méconnu plus que partout ailleurs.
En 1930, au dernier recensement, on comptait un divorce pour six mariages. Et
comment dénombrer les infidélités conjugales, les haines dans les foyers, les
familles désunies dont le tribunal des divorces n'a jamais eu connaissance ?
Tout cela ne devrait pas être toléré. Si l'on n'y mettait un frein, il n'y aurait
bientôt plus de vie de famille et l'institution du mariage finirait par disparaître
totalement. Cet effondrement social a déjà commencé en Russie et semble menaçant
dans un ou deux autres pays. Ce qu'on appelle "amour libre" et "mariage
de camarades" est admis peu à peu dans quelques-unes de nos propres maisons
d'éducation et positivement présenté comme l'unique solution d'un problème dont
l'importance grandit sans cesse.
Ce problème est de la plus haute gravité, car de sa solution peut dépendre le
salut de la race. C'est pourquoi l'auteur de ces lignes, en sa qualité de serviteur
de la Gloire de Dieu [Nom et titre de Baha'u'llah], a réuni tous les renseignements
qu'il a pu se procurer à ce sujet. Il reproduit les paroles textuelles de Baha'u'llah
et d'Abdu'l-Baha, afin que le lecteur puisse juger par lui-même si ces lois
divines au cas où, un jour, on les appliquerait, seraient susceptibles d'assurer
un meilleur ordre social.
D'abord, il ne faut jamais perdre de vue que Baha'u'llah envisage l'unité du
monde, avec un ordre mondial. Il suppose une étroite alliance entre l'homme
et Dieu ainsi que l'assistance du monde suprême et de l'Esprit Saint pour établir
ce nouvel ordre.
Ainsi, dans la conception du royaume de Dieu sur la terre, Baha'u'llah considère
comme réalisés : l'unité de toutes les races et de tous les peuples ; l'abolition
de tous les préjugés ; l'amour inné et passionné de la vérité, quelle qu'en
soit la source, et la diffusion, dans tous les pays, d'une éducation ayant ces
lois pour base.
Il a conçu de la sorte un plan de grande envergure, embrassant les problèmes
de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Sud ; et il a laissé à la Cour de
Justice Internationale le soin d'appliquer ces principes aux problèmes particuliers
et individuels, à mesure qu'ils se présenteraient.
Si le lecteur tient compte de tout cela, et s'il fait l'effort nécessaire pour
s'affranchir des préjugés très naturels qu'il peut avoir conservés, il appréciera
beaucoup mieux la sagesse du plan de Baha'u'llah pour l'établissement d'un nouvel
ordre mondial.
Ce programme n'est pas facile à suivre, car l'homme est porté naturellement
à considérer comme définitifs les usages et les conventions en vigueur au moment
précis de l'histoire où, par hasard, il est apparu sur la terre. Avoir une telle
mentalité équivaut à ne tenir aucun compte des annales du passé où l'on voit
clairement qu'à travers les âges toutes les institutions humaines ont été transformées
ou abolies et que la tendance générale est de les simplifier, de les purifier,
de les ennoblir. La race est promise à une haute destinée, et même les lois
de Baha'u'llah n'ont pas un caractère définitif. Au cours de la prochaine période
de mille ou de dix mille ans, l'humanité progressera encore dans la voie de
la perfection divine à laquelle tous les prophètes de Dieu l'ont appelée. "Soyez
parfaits comme votre Père, au ciel, est parfait".
Au stade actuel du développement de la race, les lois promulguées par Baha'u'llah
semblent certainement répondre d'une manière efficace aux besoins de l'humanité
considérée dans son ensemble. Ceux qui étudient les écrits de Baha'u'llah en
accordant l'attention méritée à la haute autorité dont ils se réclament apprécieront
ces paroles sublimes. Elles invitent l'homme à collaborer à un ordre social
plus élevé qu'aucun autre conçu jusque-là et ne peuvent manquer de stimuler
les espoirs naissants, de relever les courages défaillants et de ranimer la
flamme de l'amour de Dieu dans les coeurs attiédis.
Pénétrés de ces idées, essayons d'aborder la question du mariage selon les enseignements
de Baha'u'llah, sinon avec la vénération, du moins avec l'attention déférente
qui est due à un tel Maître. Par amour pour ce message divin qu'il avait la
conviction de devoir délivrer aux hommes, il a supporté pendant quarante ans
toutes les avanies, les humiliations et les tortures qu'ont pu imaginer deux
souverains cruels : le shah de Perse et le sultan de Turquie.
Je cite le paragraphe suivant des écrits de Baha'u'llah récemment traduits par
son arrière petit-fils, Shoghi Effendi, le premier gardien de la foi baha'ie.
Le lecteur aura ainsi une idée de la source d'autorité dont Baha'u'llah se réclame
et du but vers lequel il achemine l'humanité :
"Le premier devoir que Dieu prescrit à ses serviteurs est la reconnaissance
de celui qui est l'aurore de sa révélation et la fontaine de ses lois, qui représente
la Divinité à la fois dans le royaume de sa cause et dans le monde de la création...
Ceux que Dieu a doués de clairvoyance reconnaîtront aisément que les préceptes
qu'il a édictés constituent les plus hauts et les plus puissants instruments
pour maintenir l'ordre dans le monde et donner à ses peuples le sentiment de
la sécurité. Qui se détourne de ces préceptes se range du même coup parmi les
êtres vils et insensés. Nous vous avons, en vérité, ordonné de vous refuser
aux impulsions de vos passions mauvaises et de vos désirs corrompus, et de ne
jamais transgresser les bornes que Dieu vous a fixées, parce que là même est
la vie pour toutes choses créées. Les mers de la sagesse et du verbe divins
se sont soulevées sous l'effet de la brise du Tout-Miséricordieux. Hâtez-vous,
ô hommes d'entendement, d'en boire votre content" ["Extraits des écrits
de Baha'u'llah"].
En ce qui concerne le mariage, voici un résumé des ordonnances prescrites par
"la Plume Suprême", et qui doivent servir de directives à la race humaine
pendant une période d'un ou de plusieurs milliers d'années. J'attire encore
l'attention du lecteur sur ce fait que le législateur n'a pas en vue un peuple,
une religion ou un groupe en particulier, mais bien le monde entier.
Baha'u'llah enjoint à tous de se marier, et il considère la monogamie comme
seul moyen d'assurer le contentement et le bonheur. Il réprouve l'attitude de
certains groupes religieux relevant de diverses croyances qui interdisent à
leurs prêtres de se marier. "Voici mon commandement, dit-il ; élevez des
enfants afin qu'ils proclament mon nom parmi mes serviteurs".
D'après ses directives, le mariage doit d'abord dépendre du consentement des
deux parties intéressées et de leurs parents respectifs, car "il désire que
l'amour, l'affection et l'union règnent parmi tous les serviteurs de Dieu, et
qu'ils se gardent de l'inimitié et de la haine".
L'homme doit assurer une dot à la femme, et il en indique le montant, très peu
élevé. Cette recommandation a évidemment pour but de ne pas mettre la femme
dans un état de dépendance absolue vis-à-vis de son époux, chose particulièrement
importante dans les pays d'Orient.
En cas de désaccord entre mari et femme, si quelque trouble ou quelque aversion
se manifestent, le mari ne doit pas divorcer mais prendre patience pendant un
an, "dans l'espoir que le parfum d'amour retrouve son charme". Cependant
si, à l'expiration de ce délai "aucun parfum d'amour ne s'exhale plus",
le divorce est permis.
Abdu'l-Baha, dans une tablette adressée aux baha'is d'Amérique, s' exprime ainsi
:
"Les amis (baha'is) doivent strictement s'abstenir du divorce à moins qu'il
ne survienne entre les époux une aversion réciproque qui les y contraigne ;
dans ce cas, après en avoir référé à l'assemblée spirituelle (gouvernement local),
ils peuvent décider de se séparer. Cependant, ils doivent être patients et attendre
une année entière. Si, pendant ce laps de temps, l'harmonie n'est pas rétablie
entre eux, alors leur divorce peut avoir lieu... Le royaume de Dieu est fondé
sur l'harmonie, l'amour, l'unité, l'alliance et l'union et non sur les divergences
et les mésententes, surtout entre mari et femme. Si, seul, l'un des deux époux
est responsable du divorce, il tombera certainement dans de grandes difficultés,
il sera victime de grands malheurs et connaîtra de profonds remords" ["Baha'u'llah
et l'Ere nouvelle", Esslemont.].
Baha'u'llah exhorte les hommes à résister aux tentations de la chair qui les
incite au péché et aux mauvaises actions, et à suivre plutôt le souverain Maître
de toutes choses qui leur commande de pratiquer la vertu et la loyauté. Ce qui
rend si captivante l'étude des écrits de Baha'u'llah c'est que, tout en rappelant
fréquemment la loi suprême, il témoigne d'une sympathique compréhension de la
faiblesse humaine. C'est en vain que l'on chercherait dans les codes du passé
et du présent cette atmosphère d'autorité mêlée d'amour. La loi mosaïque, par
exemple, en est complètement dépourvue. On penserait plutôt à un sermon sur
la montagne rédigé sous forme de code, et imposé aux hommes avec douceur. Ceci
nous prouve non seulement son origine divine, mais nous donne encore l'assurance
que, finalement, le monde l'acceptera. Car lorsqu'on fait appel à la fois au
coeur et à la raison de l'homme, il adopte forcément la loi qu'on lui propose.
Voici un exemple de cet appel aux sentiments : Baha'u'llah prescrit au mari,
quand il fait une absence prolongée, de tenir sa femme au courant de ses déplacements
et de lui indiquer la date de son retour. "S'il tient sa promesse, il sera
au nombre de ceux qui accomplissent les commandements du Seigneur et la plume
du commandement le mentionnera parmi les justes". Si une raison sérieuse
empêche son retour, il doit en informer sa femme et s'efforcer de rentrer. Si
elle reste sans nouvelle de son mari, elle doit attendre neuf mois, et à l'expiration
de ce délai elle est libre de choisir un autre époux. "Mais si elle est patiente,
ce sera préférable, car Dieu aime ceux qui sont patients".
Si, durant ces neuf mois d'attente, elle reçoit des nouvelles de son mari, elle
doit faire preuve de bonté et de bienveillance à son égard, car Dieu veut que
la paix règne parmi ses serviteurs. "Gardez-vous de faire naître l'irritation
autour de vous.".
Peut-on imaginer ce que seraient les tribunaux de l'avenir s'il y régnait une
telle atmosphère ? Le lecteur est peut-être tenté de douter que pareil changement
soit réalisable, et ce n'est pas moi qui lui jetterai la pierre, étant moi-même
très enclin au doute. Cependant, j'ai fini par trouver dans les divines paroles
de Baha'u'llah non seulement beauté et sagesse mais aussi une sorte de force
intérieure qui stimule les élans du coeur et de la volonté. Parmi les peuples
de l'univers, plusieurs millions de gens ont déjà consenti à suivre ses enseignements
et ses lois, et souvent même au prix de leur fortune et de leur vie ; ce fait
seul donne quelque raison d'espérer qu'avant longtemps viendra le jour où une
minorité influente d'hommes d'une saine mentalité acceptera ces divins préceptes
et les mettra en pratique.
Quant à la clause relative au consentement des parents lors d'un projet de mariage,
Abdu'l-Baha écrivait à une personne que leur consentement ne doit être demandé
que lorsque les parties contractantes sont arrivées à un accord mutuel qui leur
donne satisfaction. Jusqu'à ce moment, les parents n'ont pas le droit d'intervenir.
Ceci abolit l'usage, très répandu en Orient, de ces mariages arrangés par les
parents, bien souvent sans le consentement et contre le désir des principaux
intéressés. Abdu'l-Baha dit aussi que les conséquences de cette clause c'est
que, chez les baha'is, le divorce est exceptionnel et qu'on ignore ces relations
tendues avec les membres de la belle-famille, relations devenues proverbiales
dans les pays chrétiens et musulmans ["Baha'u'llah et l'Ere nouvelle",
Esslemont.].
Abdu'l-Baha a maintes fois abordé ce sujet dans ses discours et ses écrits.
Voici quelques citations des passages les plus importants :
"En cette bienheureuse époque, les préjugés aveugles ont entièrement disparu.
L'engagement baha'i consiste en une acceptation totale et une communion parfaite
des deux futurs conjoints. Cependant, ils doivent accorder la plus grande attention
à leurs caractères réciproques et se connaître mutuellement ; leur alliance
doit devenir un lien éternel, tandis qu'ils recherchent l'affinité spirituelle,
l'amitié, l'unité et la vie éternelles..."
En présence de son témoin et de quelques autres personnes, le marié doit
dire : "En vérité nous dépendons de la volonté de Dieu", et la mariée doit répondre
: "En vérité nous dépendons de la volonté de Dieu". C'est là le mariage Baha'i".
"Pour ce qui concerne la question du mariage : sachez que le commandement
du mariage est éternel. Il ne sera jamais changé ni modifié. C'est une création
de Dieu qui ne peut être ni transformée ni altérée". Abdu'l-Baha
"La plupart des peuples de la terre ne voient dans le mariage que des rapports
physiques. Cette union et ces relations sont seulement temporaires puisque,
à la fin, elles sont vouées à l'inévitable séparation corporelle. Mais chez
les baha'is, le mariage doit comporter des relations spirituelles aussi bien
que physiques, car elles sont toutes deux vivifiées par le vin d'une même coupe,
elles subissent toutes deux l'attrait de l'Unique, de l'Incomparable, elles
sont régénérées par la même vie et illuminées par la même lumière. Voilà ce
qu'on appelle des relations spirituelles et une éternelle union.
Dans le monde physique également, des liens solides et indissolubles unissent
les époux. Quand l'intimité, l'union et la concorde règnent entre les deux conjoints,
tant au point de vue spirituel que physique, alors le mariage est réel, et par
cela même éternel. Mais si l'union n'existe qu'au point de vue charnel, elle
n'aura qu'une durée temporaire et, à la fin, la séparation sera inévitable.
Par conséquent, lorsque des baha'is désirent s'unir par le lien sacré du mariage,
il faut que des affinités éternelles et des relations idéales existent entre
eux. Dans le domaine spirituel aussi bien que physique, leurs idées et leur
conception de la vie doivent être pareilles, afin qu'à tous les stades d'existence
et dans tous les mondes de Dieu, leur union puisse continuer toujours et à jamais.
Car cette union est un reflet de l'amour resplendissant de Dieu.
De même, si ces âmes sont pénétrées de la véritable foi en Dieu elles parviendront
à ce stade sublime de parfaite communion, elles manifesteront l'amour du Miséricordieux
et seront enivrées du vin de cet amour. Sans aucun doute cette union-là est
éternelle.
Les âmes qui se dépouillent de leur égoïsme arrivent à se détacher des choses
imparfaites du royaume de l'homme et à se libérer des chaînes de ce monde éphémère.
Alors, assurément, les rayons de l'union divine resplendiront dans leurs coeurs,
et elles trouveront l'alliance idéale et le bonheur suprême dans le paradis
éternel".
Abdu'l-Baha Abbas.
Notez que les deux premiers passages cités plus haut soulignent le caractère
éternel de la véritable union dans le mariage. Une lecture attentive de l'avant-dernière
citation fera comprendre les trois manières dont cette union éternelle peut
être réalisée.
1) Quand deux âmes embrasées par le feu de l'amour de Dieu en découvrent le
reflet l'une chez l'autre et que les deux flammes, en fusionnant, n'en forment
plus qu'une.
2) Quand deux êtres, unis d'abord par les liens physiques, sont ensuite illuminés
par l'amour éternel, cette union, elle aussi, devient éternelle. Abdu'l-Baha
a écrit un jour, en parlant d'une croyante qui avait épousé un non-croyant ou
était sur le point de le faire : "Ce mariage est permis, mais Mademoiselle
X doit s'efforcer sans cesse d'être un guide pour son époux. Elle ne doit s'accorder
ni trêve ni repos tant qu'elle n'en aura pas fait le compagnon de sa vie, non
seulement par la chair mais par l'esprit".
3) Le dernier paragraphe se rapporte à ceux qui, dans ce monde, ne trouvent
jamais leur vrai compagnon spirituel et demeurent privés de cette grande joie
tout au long de cette vie transitoire :
"Si vous vous détachez de ce monde éphémère et des choses imparfaites du
royaume des hommes, il est certain que les splendeurs de l'union divine rayonneront
dans votre coeur et que vous trouverez la communion idéale et le bonheur suprême
dans le paradis éternel.".
Parlant ailleurs de la réalité de l'amour, Abdu'l-Baha dit :
"Il n'y a que quatre sortes d'amour:
(a) L'amour de Dieu pour sa création, dans laquelle Lui-même se reflète comme
dans un miroir. Un seul rayon de cet amour suffit à créer tous les autres.
(b) L'amour de Dieu pour ses enfants et ses serviteurs. Cet amour accorde l'existence
à l'homme en attendant que le souffle du Saint-Esprit (autre forme du même amour)
lui assure la vie éternelle et le modèle à l'image du Dieu vivant. Cet amour
est la source de tous les autres dans le monde créé.
(c) L'amour de l'homme pour Dieu. Il se manifeste par l'attirance du monde divin,
par l'accès du royaume de Dieu. Alors l'homme recevant les bienfaits de Dieu,
se trouve illuminé des clartés du royaume. Grâce à cet amour qui est l'origine
de toute philanthropie, le coeur de l'homme reflète les rayons du Soleil de
la Réalité.
(d) L'amour entre les humains. L'amour entre ceux qui croient en Dieu est inspiré
par l'idéal de l'unité spirituelle. Les hommes accèdent à cet amour par la connaissance
de Dieu et par la vision de l'amour divin se reflétant dans les coeurs. Chacun
voit dans l'âme de l'autre le reflet de la beauté de Dieu, et de ce point de
similitude découle leur attirance mutuelle vers l'amour. On peut comparer ceux
qui connaîtront cet amour-là aux vagues d'un même océan, aux étoiles d'un même
ciel, aux fruits d'un même arbre.
Mais l'amour entre les amis n'est pas toujours le véritable amour, car il est
exposé aux changements. Les arbres frêles s'inclinent au souffle de la brise.
Sous le vent d'Est, l'arbre s'incline vers l'Ouest, et si le vent tourne à l'Ouest,
le contraire se produit. Les circonstances accidentelles de la vie sont à l'origine
de cet amour-là. Ceci n'est pas de l'amour mais une simple liaison exposée aux
vicissitudes du changement ...".
Il est impossible de lire ces divines paroles sans acquérir l'intime conviction
que la dispensation de Baha'u'llah introduit l'homme dans un monde nouveau d'une
conception inconnue jusqu'ici : le monde de la réalité, le monde de l'esprit.
Nul ne peut imaginer ce que deviendront les hommes dans l'ordre social futur,
quand ils seront imprégnés de cet esprit et quand le Soleil suprême les illuminera,
comme cela doit infailliblement arriver un jour.
Et quand on a vu cette lumière se manifester dans la propre vie d'Abdu'l-Baha,
quand on a constaté la puissance et la beauté d'un tel idéal pleinement vécu,
quand on vous dit enfin en des termes sublimes que cette vie supérieure est
à la portée de tous ceux qui se laissent pénétrer par les rayons de l'amour
suprême, alors, le coeur enflammé du désir de réaliser cette expérience, on
fait appel à la volonté pour contribuer pleinement à l'avènement de ce royaume
de l'amour sur la terre.
Abdu'l-Baha, par ses fréquentes allusions aux enfants de l'ère nouvelle, nous
dévoile des horizons enchanteurs. Il parle souvent avec des expressions admirables
de ces enfants nés des mariages célestes décrits plus haut. Faisant suite aux
extraits relatifs aux liens éternels du mariage, ces passages donnent un léger
aperçu de ce que la société humaine pourra devenir quand l'ordre mondial de
Baha'u'llah sera établi. Je ne peux en citer ici que deux ou trois passages.
"Ces enfants ne sont ni orientaux ni occidentaux, ni asiatiques ni américains,
ni européens ni africains ; mais ce sont les enfants du royaume, le ciel est
leur foyer et le royaume d'Abha leur patrie".
"L'enfant nouveau-né de cette ère future l'emportera sur les hommes les plus
sages et les plus vénérables de notre temps, et le plus humble, le plus illettré
de cette époque-là, surpassera en intelligence les théologiens les plus érudits
et les plus accomplis de nos jours" ["La Chronique de Nabil"]
Le Bab à ses disciples.
"Le devoir qui t'incombe, c'est que tes enfants soient nourris à la mamelle
de l'amour de Dieu. Dirige-les vers les choses de l'esprit afin que, tournés
vers Dieu, ils se comportent bien, qu'ils acquièrent les plus nobles vertus
et les qualités dignes de louange dans le monde des humains. Encourage-les à
étudier les sciences avec ardeur pour qu'ils se développent en spiritualité,
pour que, dès l'enfance, le parfum de la sainteté les charme, et qu'ils reçoivent
une éducation religieuse, spirituelle et divine".
Abdu'l-Baha.
PRIERE POUR ENFANTS
"O mon Seigneur ! O mon Seigneur ! Je suis un enfant d'âge tendre. Nourris-moi
du lait de ta miséricorde. Elève-moi dans ton amour, instruis-moi à l'école
de ta direction et fais que je grandisse à l'ombre de ta bonté.
Délivre-moi des ténèbres, préserve-moi du malheur, fais de moi une brillante
lumière, une fleur de ta roseraie ; souffre que je devienne le serviteur de
ton sanctuaire et donne-moi les aptitudes et la nature des justes ; fais de
moi une cause de bienfaits pour l'humanité et couronne-moi du diadème de la
vie éternelle.
En vérité, Tu es le Fort, le Tout-Puissant, Celui qui voit et qui entend".