Les voies de la liberté
Par Howard Colby IVES
(pasteur de l'Eglise Unitaire à la rencontre d'Abdu'l-Baha en 1912)


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Chapitre 12. Le centre du pacte, un nouvel ordre mondial, civilisation divine, le royaume de Dieu sur la terre

"L'équilibre du monde a été détruit sous l'action vibrante de ce très grand, de ce nouvel ordre mondial. L'ordre sur lequel reposait jusque-là l'humanité a été révolutionné par cet unique et merveilleux système, dont les yeux mortels n'avaient jusque-là jamais vu l'équivalent".
Baha'u'llah

Le soir de ce même 2 décembre, Abdu'l-Baha parla devant de nombreux amis réunis dans cette maison déjà mentionnée au chapitre précédent. Il prit pour thème les préceptes spirituels particuliers à la révélation de Baha'u'llah. Il est nécessaire d'approfondir quelque peu les paroles d'Abdu'l-Baha à ce sujet, afin que le lecteur comprenne mieux les influences qui ont eu un effet si bouleversant sur la vie de l'auteur.

Et ici une digression s'impose. Je dois expliquer pourquoi je me suis forcé à raconter si franchement des choses intimes et personnelles que j'aurais gardées cachées au plus profond de mon coeur si j'avais agi selon mon propre sentiment. Pendant bien des années, j'ai essayé de me dérober à la responsabilité que cette obligation m'imposait ; mais pressé par les instances de mes amis, je ne peux plus le faire. En voici la raison :

L'humanité est une. Tout individu est en relation aussi bien spirituelle que physique avec les autres hommes. Mêmes espoirs, mêmes rêves, mêmes aspirations. Les hauts et les bas, les angoisses et les joies, les victoires et les défaites peuvent varier d'intensité d'un individu à l'autre selon les aptitudes et le courage de chacun, mais tous cheminent à peu près sur le même sentier et combattent sur le même terrain.

Donc, si dans la foule qui lutte pour satisfaire ses aspirations, un de ces individus a trouvé le chemin conduisant à la "demeure de paix" ; si, même sans triompher pendant toute la campagne, il a gagné quelques batailles sur le champ de la lutte universelle, l'histoire de cette campagne ne doit-elle pas être racontée à ces innombrables frères répandus dans le monde entier et encore "affolés à la recherche de l'Ami" ? Quand on sait que ces frères demeurent si inutilement et désespérément engagés dans les complications d'une civilisation agonisante et qu'on pourrait renouveler leur courage, leur espoir et leur énergie en leur montrant la voie qui sort de la jungle, cette voie trouvée par quelqu'un qui a combattu sur le terrain où eux-mêmes luttent sans but et sans espoir ; quand on sait qu'on pourrait secourir (si peu que ce soit) ces créatures qui, comme moi, sont égarées et attristées, afin qu'avec l'aide de Dieu elles affrontent la même armée d'ennemis spirituels et qu'elles en triomphent... il me semble que c'est là un devoir auquel on ne peut se dérober. D'où cette histoire.

Ce chapitre est consacré à un résumé des préceptes de Baha'u'llah exposés par Abdu'l-Baha en cette mémorable soirée("Promulgation of universal Peace", page 449-453)

Il commença par nous dire qu'il allait nous parler de quelques-uns des préceptes particuliers à la doctrine de Baha'u'llah, mais que, outre ceux-ci, il y en avait beaucoup d'autres dans les livres, tablettes et épîtres de Baha'u'llah, tels que : "Les Paroles Cachées", "Les Bonnes Nouvelles", "Les Paroles de Paradis", "La Tablette du Monde", "Le Kitab-i-Aqdas" ou "Très-Saint Livre", et qu'aucun de ces préceptes ne se trouve dans les livres et épîtres des autres prophètes.

Il commença ainsi : "Un précepte fondamental de Baha'u'llah est l'unité de la race humaine". S'adressant à tous, il leur dit :

"Vous êtes les feuilles d'un même arbre et les fruits d'une même branche. Ce qui signifie que le monde humain est comme un arbre. Les nations et les peuples sont les différentes parties et branches de cet arbre, et les créatures humaines, prises individuellement, en sont comme les fruits et les fleurs. Dans tous les préceptes religieux du passé, on a représenté le monde des hommes comme s'il était divisé en deux parties : d'un côté, le "peuple du Livre" (les adeptes d'un certain Prophète) ou arbre du bien et de l'autre, le peuple de l'infidélité et de l'erreur, ou arbre du mal... Baha'u'llah, dans ses préceptes, a plongé l'humanité entière dans l'océan de la générosité divine.

Les uns sont endormis, il faut les réveiller. D'autres sont malades, ils ont besoin d'être guéris. Il y en a qui manquent de maturité comme des enfants, ils ont besoin d'être éduqués. Mais tous bénéficient de la bonté et des dons de Dieu"
("Promulgation of universal Peace", page 449)

Le lecteur jugera si l'application de ce principe à la politique internationale, au commerce et aux questions religieuses, pourrait contribuer ou non au bonheur et à la prospérité du genre humain.

Ce principe implique évidemment que toutes les races, quelle que soit leur couleur, ont les mêmes aptitudes au progrès intellectuel et spirituel, que toutes sont entravées par les mêmes handicaps, et qu'une même méthode peut les affranchir. Si le lecteur conteste l'exactitude scientifique de ces affirmations, je lui propose d'avoir recours à la compétence d'un ethnologue moderne et autorisé.

"Voici un autre principe également nouveau, continua Abdu'l-Baha : c'est la recherche de la vérité, ce qui veut dire qu'aucun homme ne devrait suivre aveuglément la voie de ses ancêtres et de ceux qui l'ont précédé mais, au contraire regarder avec ses propres yeux, écouter de ses propres oreilles et approfondir la vérité, afin de l'adopter en connaissance de cause et non par esprit d'imitation et par un acquiescement aveugle aux croyances ancestrales"

J'ai indiqué dans le chapitre précédent combien ceci influe profondément sur le sens traditionnel attaché au mot "autorité". Mais n'oublions pas que cette influence se manifeste aussi bien sur le sens que l'humanité a de tous temps attribué aux mots "religion", "loi", "gouvernement", "éducation". En somme, presque tous les aspects de notre vie sociale, économique ou religieuse ont subi l'influence d'une opinion individuelle énoncée par quelqu'un dans un passé lointain. Les lois qui nous régissent ont été formulées, soit par les Romains, soit par la jurisprudence anglo-saxonne. Les documents législatifs eux-mêmes sont rédigés dans une langue qui a un relent de poussière des cours de justice d'il y a mille ans ou plus encore. En matière d'éducation, nous suivons les lois établies à une époque où maîtres et élèves vivaient dans des conditions bien différentes des nôtres et poursuivaient un tout autre idéal.

Mais à quoi bon continuer ces explications ? Les faits sont évidents. Et l'esclavage monstrueux dont nous subissons le joug en cette époque nouvelle de la radio, des aéroplanes et des soviets, n'est pas réservé exclusivement à ce qu'on nomme la foule inconsciente. Il est vrai que durant quelques siècles encore, la grande majorité des hommes se contentera de suivre plutôt que de diriger. Comme le remarque James Truslow Adams : "Pendant longtemps encore on ne pourra s'attendre à ce que le commun des mortels sache raisonner aussi bien que John Dewey. Ce serait aussi irrationnel que de croire qu'il puisse faire de la sculpture comme Phidias ou de la peinture comme Rembrandt. L'homme moyen se laisse diriger par ses désirs et par ses émotions". Mais quand un esprit d'il y a peut-être deux mille ans exerce une influence prépondérante sur les autres esprits et que cette subordination s'étend aux élites de la race dans les domaines de l'intelligence, de l'éducation, de la politique, de la religion et des lois, il nous incombe d'étudier attentivement quelle est la qualité du terrain au fond de ce précipice vers lequel nous courons tous comme des insensés. Quelle est la résistance du sol ? Quelle ruine entraînera l'inévitable écroulement d'une civilisation qui s'obstine à se laisser guider par la superstition plutôt que par la raison ?

Avec quelle simplicité, quelle noblesse, quelle précision scientifique Baha'u'llah met le doigt sur le point crucial !

"O Fils de l'Esprit ! A mes yeux, ce que j'aime par dessus tout est la justice(un jugement clair et pénétrant)... Par elle, tu pourras voir par tes propres yeux et non par ceux des autres, et tu pourras comprendre par ton propre savoir non par celui du prochain. Pèse bien ceci : Comment dois-tu être ? En vérité, la justice est le don que je te fais, le signe de ma tendre bonté. Fixe donc ton regard sur elle" (Les Paroles Cachées", Baha'u'llah)

Je demande encore au lecteur de considérer quel serait, très probablement, l'effet produit sur la civilisation si les dirigeants de la pensée mondiale pouvaient être persuadés subitement que l'auteur de ce paragraphe sublime appartient à la longue lignée des prophètes inspirés de Dieu et qu'il est apparu dans le monde actuel pour être le chef de la race et pour établir un nouvel ordre mondial dont les préceptes fondamentaux incitent chaque individu à prendre conscience de sa propre responsabilité. Songez que l'application de ce seul précepte entraînerait la suppression immédiate des abus dans tous les domaines : religion, législation, éducation et gouvernement. Il est impossible de prédire à quel degré de beauté et de joie parviendrait, au bout de deux ou trois générations, une civilisation qui s'inspira du sentiment de l'amour de Dieu (amour du nouveau messie dont le sanctuaire sur la terre est le temple de la "Gloire de Dieu" ).

Abdu'l-Baha continua en ces termes :

"Sa Sainteté Baha'u'llah a dit que toutes les religions ont une seule et même base ; que l'unité est la vérité et que la vérité est une et n'admet pas la pluralité.

Il montre qu'à l'époque actuelle, la religion doit être une cause d'union, d'harmonie et de concorde parmi les hommes. Si c'était une cause de discorde et d'hostilité amenant la division et créant des conflits, l'absence de religion dans le monde serait préférable.

Il déclare en outre que la religion doit être d'accord avec la science et la raison. Dans le cas contraire, c'est une superstition"


Inutile d'insister sur la sagesse et le bon sens de ces principes ni de parler des résultats pratiques pouvant résulter de leur application, car tout cela paraît évident.

"Baha'u'llah déclare aussi que la femme est l'égale de l'homme. Ceci appartient en propre à sa doctrine, car toutes les autres religions ont placé l'homme au-dessus de la femme" ("Baha'u'llah et l'ère nouvelle", Esslemont)

En commentant ce passage, je ferai simplement remarquer que le fondateur de la foi baha'ie a énoncé ce principe dès 1853, et en Perse, c'est-à-dire dans un pays qui, depuis un temps immémorial, a placé la femme au même rang que l'animal, en lui déniant jusqu'à la possibilité d'avoir une âme. C'est vers 1848 qu'apparut, en Perse, une femme qu'on peut nommer à juste titre la première suffragette. Elle s'appelait Qurratu'l-Ayn (Consolation des yeux) et fut la seule femme parmi les dix-huit disciples du Bab, le divin précurseur de Baha'u'llah.

"Elle rejeta le voile, dit Abdu'l-Baha, soutint des controverses avec les hommes les plus érudits et fut chaque fois victorieuse. Lapidée dans les rues, exilée de ville en ville, menacée de mort, elle demeura inébranlable dans sa résolution de travailler à l'affranchissement de ses soeurs. Elle supporta les persécutions avec le plus grand héroïsme et fit des conversions jusque dans sa prison. S'adressant à un ministre persan qui la retenait captive chez lui, elle s'écria : "Tu peux me tuer quand tu voudras, mais tu ne peux arrêter le mouvement d'émancipation des femmes". Finalement, elle fut étranglée, et son corps fut jeté au fond d'un puits vide que l'on combla ensuite avec des pierres. En se préparant à l'exécution, elle revêtit ses plus beaux atours, comme pour aller à une fête de mariage" (Promulgation of Universal Peace", page 450)

Ainsi parla Abdu'l-Baha de cette héroïque féministe qui fit le sacrifice de sa vie pour la libération de ses soeurs, en un temps où Suzanne B. Anthony, France Willard et les autres n'avaient pas encore commencé leur campagne.

"Voici un autre principe religieux, nouveau lui aussi : qu'il s'agisse d'une secte, d'une confession religieuse particulière, de patriotisme ou de politique, les préjugés et le fanatisme sont des éléments destructeurs de la solidarité. C'est pourquoi l'homme doit s'affranchir de telles entraves, afin que l'unité de l'humanité devienne manifeste".

Les préjugés sont comme un cancer qui ronge le coeur de la société humaine. Ils affectent toutes les relations entre les hommes, depuis le snobisme de coterie jusqu'à ces antagonismes de race et de religion qui aboutissent aux lynchages, aux pogromes et à des massacres comme celui de la Saint-Barthélemy et comme ceux dont les Arméniens furent victimes pendant des siècles.

Je ne demande pas au lecteur de croire qu'on puisse d'un seul coup extirper un pareil cancer. Qu'il veuille bien seulement se demander s'il n'y aurait pas quelque chance de le détruire, au cas où une minorité influente de dirigeants mondiaux (entraînant nécessairement la masse de leurs adeptes) arriverait, après un examen critique, à reconnaître l'" autorité" de celui qui promulgua ce principe.

"Baha'u'llah assure, continua Abdu'l-Baha, que la paix universelle est l'accomplissement fondamental de la religion de Dieu. Elle règnera un jour parmi les nations, les gouvernements et les peuples, entre les religions, les races et les hommes de toutes conditions. Ceci est une des caractéristiques de la parole de Dieu exprimée dans cette révélation" (Promulgation of Universal Peace", page 451).

C'est ce que Baha'u'llah nomme "la paix suprême". Notez bien qu'elle n'implique pas seulement la cessation de la guerre. Cette paix-là pénètre jusqu'au fond même des choses et englobe la vie de l'individu dans toute sa complexité, la société où il évolue et les émotions qui sont les mobiles principaux de ses actions.

"Baha'u'llah déclare que toute l'humanité doit être éduquée et accéder à la connaissance"3.

Ici encore, je ferai remarquer que ce principe a été formulé à une époque où, dans toutes les parties du monde, l'éducation était la prérogative d'une certaine classe. A cause de leur situation sociale, des millions d'enfants et d'adultes se voyaient privés de ce privilège de la culture intellectuelle qui est la source du pouvoir. On comprenait avec raison qu'en permettant à la meute des petites gens d'accéder à cette source du pouvoir que détenaient les maîtres, ceux-ci risquaient, sous la pression de la meute, d'être chassés de leurs places. Coïncidence curieuse, pour ne pas dire plus, c'est au moment où Baha'u'llah promulgua ce commandement, qu'on vit naître ce qu'on appelle l'éducation libre "pour les gens du commun". Et ce fut aussi l'époque des premiers efforts féconds tendant à libérer le peuple dans tous les domaines de l'activité humaine.

"Baha'u'llah a exposé la solution du problème économique et indiqué le remède.

Il a institué et établi la maison de justice dont le rôle est politique autant que religieux, et qui réalise l'union complète et la fusion de l'Eglise et de l'Etat. Cette institution est placée sous la protection de Baha'u'llah lui-même. Une maison de justice universelle ou internationale sera également créée et ses règlements seront conformes aux commandements et aux préceptes de Baha'u'llah. Toute l'humanité devra obéir aux ordres émanant de cette maison de justice universelle, qui sera entretenue et organisée par les maisons de justice (locales et nationales) du monde entier, et le monde entier sera placé sous sa juridiction"
(Promulgation of Universal Peace", page 451).

C'est-à-dire que Baha'u'llah a conçu et institué une organisation mondiale d'un type analogue à celui du gouvernement fédéral des Etats-Unis : il prévoit une fédération des nations du monde ayant à sa tête une Maison de Justice centrale. Mais notons cette importante différence dont les effets portent loin, c'est que, dans le plan de Baha'u'llah, la tête dirigeante aura un rôle religieux aussi bien que politique. Cette conception effraie ceux pour lesquels le mot de religion évoque les abus résultant de la lutte entre musulmans et chrétiens, catholiques et protestants, et même entre les innombrables sectes de toutes les religions. Mais si l'on veut bien comprendre que cette religion d'Etat prescrite par Baha'u'llah, a pour base l'unité mondiale, non seulement dans le domaine de la religion, mais encore dans celui de l'éducation et de toutes les activités tant sociales qu'économiques, si l'on veut bien se rendre compte de ceci : les règlements de la maison de justice seront conformes aux commandements et préceptes de Baha'u'llah qui abolissent les préjugés, la bigoterie et les discordes, alors on verra que les objections à une telle fusion tendent à disparaître.

Pour établir un parallèle, supposons qu'à l'époque du concile de Nicée, en 325 ap.J.C, on eût rédigé une constitution politique du Saint Empire romain en prenant pour base le Sermon sur la montagne, le chapitre XIII de la première Epître aux Corinthiens, le chapitre XII de l'Epître aux Romains, les épîtres de Jean et quelques paragraphes de l'Ancien Testament ayant une aussi haute portée morale. Supposons encore qu'un des principes énoncés dans cette constitution eût été le suivant : tous les prophètes des autres religions ont une autorité égale à celle du Christ et de Moïse, l'autorité de Zoroastre, de Krishna et de Bouddha est égale à celle du Christ et tous leurs adeptes participent aux bienfaits résultant de cette union des peuples et des religions sous le Saint Empire romain. En poussant plus loin notre hypothèse, supposons que le Christ lui-même, dans le but d'établir ce qui est énoncé plus haut, eût laissé une constitution écrite de sa main et scellée de son sceau, qu'il eût désigné un de ses disciples pour être le chef du conseil gouvernant l'Empire et donné des instructions précises quant au choix de ses successeurs, la désignation de ceux-ci incombant à un cabinet ou conseil élu par le suffrage populaire de toutes les nations du monde. Si vous avez assez d'imagination pour supposer tout cela, alors, en toute équité, vous conviendrez que l'histoire des neuf derniers siècles eût été, dans ce cas, totalement différente.

Et pourtant, tout ce que j'ai osé présenter comme une hypothèse au sujet du christianisme est encore bien au-dessous de la réalité des faits qui sont à la base de la religion mondiale baha'ie. Le lecteur en verra la preuve à la fin de ce chapitre.

Enfin, le dernier des traits caractéristiques de la révélation de Baha'u'llah dont Abdu'l-Baha parla ce soir-là et qui, d'habitude, n'est pas mis en valeur, est cependant d'une importance capitale. Abdu'l-Baha l'appelle la caractéristique essentielle de la doctrine de Baha'u'llah.

"Il s'agit du choix et de la désignation du Centre du Covenant. Par cette clause et cette nomination, il a protégé la religion de Dieu et l'a mise à l'abri des dissidences et des schismes, en rendant impossible à quiconque la création d'une nouvelle secte ou d'une faction parmi les croyants. Pour assurer l'unité et la concorde, il a conclu un pacte avec tous les peuples de la terre, et a désigné celui qui aurait pour mission d'interpréter et d'expliquer ses préceptes, de sorte que nul ne puisse y substituer son propre point de vue et ses opinions personnelles et créer ainsi une secte fondée sur une compréhension individuelle des paroles divines" (Promulgation of Universal Peace", page 451)

C'est-à-dire que, dans ses dernières volontés et dans son testament, Baha'u'llah déclare que son propre fils, Abdu'l-Baha, sera seul qualifié pour interpréter le sens de ses préceptes et ce qu'ils impliquent. "Je l'ai fait, a dit Baha'u'llah, non parce qu'il est mon fils, mais parce qu'il est, dans le monde, le plus pur canal par lequel l'eau de la vie puisse se répandre".

Pour compléter ce tableau, il faut ajouter quelques mots d'explication relatifs aux dernières volontés et au testament qu'Abdu'l-Baha laissa en quittant ce monde en 1921. Dans ses dernières volontés, il nomma son petit-fils Shoghi Effendi, alors âgé de vingt-cinq ans, Gardien de la cause de Dieu et le chef de la première maison de justice (nota : Il s'agit de l'institution internationale ; Depuis 1963, l'institution a été créée sous le nom précis de Maison Universelle de Justice) . La principale fonction du Gardien est de définir sans équivoque le sens des préceptes de Baha'u'llah et ce qu'ils impliquent.

Maintenant, faisons encore appel aux ressources les plus vives de notre imagination. Supposons que Pierre ait été, au lieu d'un disciple-pêcheur, le propre fils de Jésus, élevé et instruit par ses soins depuis l'enfance, et que Jésus, à mesure qu'il avançait en âge, ait écrit d'innombrables livres et épîtres, et qu'il ait eu un nombre incalculable d'entretiens avec ses disciples dont la multitude se chiffrait, de son vivant, à plusieurs centaines de mille. Supposons toujours qu'il ait vu des milliers de croyants subir le martyre et la mort pour sa cause, bien qu'ayant passé lui-même les quarante années de sa vie en exil et en prison.

Enfin, ultime hypothèse, supposons qu'après sa mort, son fils Pierre (désigné par lui comme seul interprète de ses paroles) ait encore vécu vingt-neuf ans, qu'il les ait passés à écrire des livres et des milliers de lettres, répondant à toutes les questions imaginables quant au sens des préceptes de Jésus, et que, finalement, ayant voyagé dix ans à travers le monde, bien loin d'être en butte aux persécutions et au mépris, il ait reçu partout les marques de respect et les hommages des gens de toutes conditions. Enfin, comme nous l'avons dit plus haut, imaginons qu'avant de mourir à l'âge de soixante-dix-sept ans, il ait nommé son petit-fils Gardien de la pureté de la doctrine de Jésus.

Nous serons d'accord, je crois, pour penser que, non seulement l'histoire de l'Eglise chrétienne eût échappé ainsi aux schismes qui l'ont déchirée, mais encore que le Saint Empire romain eût été une puissance d'unité et de paix exerçant une action constante sur le bonheur et le bien-être de l'humanité. N'oublions pas, en effet, que sa constitution aurait eu pour unique base les paroles des prophètes de Dieu, dont la plus haute expression est le Sermon sur la montagne, et qu'entre les adeptes de chacun des porte-paroles de l'Eternel, aucune distinction n'aurait été admise.

J'ai poussé cette hypothèse assez loin, parce qu'elle me paraît présenter l'image la plus frappante de l'ordre mondial tel que l'a conçu et institué Baha'u'llah, tel qu'Abdu'l-Baha l'a expliqué, exposé et démontré par l'exemple de sa vie, et tel enfin que Shoghi Effendi a commencé à en faire fonctionner les rouages.

Il y a encore un trait essentiel du plan de Baha'u'llah qu'il faut souligner. Il a prescrit dans sa loi de construire, dans le monde entier, des temples pour le culte du Dieu unique, où tous les êtres humains seront les bienvenus quel que soit le nom de celui qu'ils ont choisi de servir. Chacun de ces temples comprendra dix bâtiments ; au centre, un édifice construit selon un plan prescrit et présentant neuf côtés, neuf entrées et neuf allées conduisant des neuf portes aux neuf autres bâtiments élevés autour de la maison d'adoration, placée au centre. Ces neuf édifices devront représenter et caractériser les diverses manières dont l'amour de Dieu se traduit en manifestations d'amour de l'homme pour son prochain. Par exemple, un hôpital, une école, un hospice de vieillards, un institut destiné aux soins et à l'éducation des aveugles, un orphelinat, un laboratoire de recherches scientifiques, une maison d'éducation pour les sourds-muets et arriérés indigents et un bâtiment contenant des salles de lecture et d'études pour la propagation des principes et des buts de la pure religion, ceci n'étant pas du ressort de la maison d'adoration elle-même. A l'intérieur de ces murs sacrés, aucune parole humaine ne se fera entendre. Aucun sermon n'y sera prononcé, on n'y observera aucune pratique rituelle. On n'y psalmodiera rien d'autre que les paroles de Dieu énoncées par les prophètes. En outre, il est prescrit qu'aucun salaire ne sera attribué aux services des instructeurs spirituels.

Parmi les neuf édifices environnant le bâtiment central, il y aura un hôtel ou hospice pour les voyageurs. Les visiteurs y seront accueillis et hébergés gratuitement un certain temps et servis suivant leurs besoins.

Deux de ces maisons d'adoration existent déjà : l'une complètement terminée depuis quelques années, est à Ishqabad en Asie Centrale russe (nota : Cette toute première maison d'adoration a été détruite), et l'autre, n'ayant encore que l'édifice central, est à Wilmette, Illinois, dans la banlieue de Chicago.

Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous voyons réaliser ici ce que Jésus appelle "toute la loi et les prophètes" : l'amour de Dieu se traduisant par l'amour de l'homme pour son prochain. Faut-il s'étonner qu'il ait écrit l'accomplissement de ses paroles prophétiques comme devant être "le royaume de Dieu sur la terre" !

"L'ordre administratif qui, depuis l'ascension d'Abdu'l-Baha n'a cessé de se développer et de prendre corps sous nos yeux dans quarante contrées de la terre, peut être considéré comme la charpente même du testament (d'Abdu'l-Baha), la forteresse inviolable où cet enfant nouveau-né s'alimente et grandit. A mesure que cet ordre administratif se propagera et se consolidera, il révèlera sûrement les forces potentielles de cet important document, expression éminemment remarquable de la volonté d'une des plus éminentes figures de la dispensation de Baha'u'llah. Quand ses divers rouages, ses institutions organiques, commenceront à fonctionner avec vigueur et efficacité, ce plan administratif s'imposera et prouvera qu'il est digne d'être considéré non seulement comme le noyau, mais comme le modèle même du nouvel ordre mondial destiné dans la suite des temps, à englober l'humanité entière" (nota : "La dispensation de Baha'u'llah", Shoghi Effendi, page 66).

"Telle est la puissance et la solidité de ce pacte que depuis l'origine des temps jusqu'à l'époque actuelle, aucune dispensation religieuse n'en a produit de semblable" (nota : Abdu'l-Baha cité dans "La dispensation de Baha'u'llah", page 64).


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